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dessus, le curé. Les maîtres d’école de France, qui savent mourir de faim pour la vérité et pour la science, étaient dignes qu’un des leurs fût tué pour la liberté.

La première fois que je vis Baudin ce fut à l’Assemblée le 13 janvier 1850. Je voulais parler contre la loi d’enseignement. Je n’étais pas inscrit ; Baudin était inscrit le second. Il vint m’offrir son tour. J’acceptai, et je pus parler le surlendemain 15.

Baudin était, pour les rappels à l’ordre et les avanies, un des points de mire du sieur Dupin. Il partageait cet honneur avec les représentants Miot et Valentin.

Baudin monta plusieurs fois à la tribune. Sa parole, hésitante dans la forme, était énergique dans le fond. Il siégeait à la crête de la montagne. Il avait l’esprit ferme et les manières timides. De là dans toute sa personne je ne sais quel embarras mêlé à la décision. C’était un homme de moyenne taille. Sa face colorée et pleine, sa poitrine ouverte, ses épaules larges, annonçaient l’homme robuste, le laboureur maître d’école, le penseur paysan. Il avait cette ressemblance avec Bourzat. Baudin penchait la tête sur son épaule, écoutait avec intelligence et parlait avec une voix douce et grave. Il avait le regard triste et le sourire amer d’un prédestiné.

Le 2 décembre au soir, je lui avais demandé : – Quel âge avez-vous ? Il m’avait répondu : – Pas tout à fait trente-trois ans.

— Et vous ? me dit-il.

— Quarante-neuf ans.

Et il avait repris :

— Nous avons le même âge aujourd’hui.

Il songeait en effet à ce lendemain qui nous attendait, et où se cachait ce peut-être qui est la grande égalité.

Les premiers coups de fusil étaient tirés, un représentant était tombé, et le peuple ne se levait pas. Quel bandeau avait-il sur les yeux ? Quel plomb avait-il sur le cœur ? Hélas ! la nuit que Louis Bonaparte avait su faire sur son crime, loin de se dissiper, s’épaississait. Pour la première fois depuis soixante ans que l’ère providentielle des révolutions est ouverte, Paris, la ville de l’intelligence, semblait ne point comprendre.

En quittant la barricade de la rue Sainte-Marguerite, de Flotte alla au faubourg Saint-Marceau, Madier de Monjau alla à Belleville, Charamaule et Maigne se portèrent sur les boulevards. Schœlcher, Dulac, Malardier et Brillier remontèrent le faubourg Saint-Antoine par les rues latérales que la troupe n’avait pas encore occupées. Ils criaient : Vive la République ! Ils apostrophaient le peuple sur le pas des portes. – Est-ce donc l’empire que vous voulez ? criait Schœlcher. Ils allèrent jusqu’à chanter