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étaient à sa droite. Dulac lui dit : — Vous me connaissez à peine, citoyen Schœlcher ; moi, je vous aime. Donnez-moi pour mission de rester à côté de vous. Je ne suis que du second rang à l’Assemblée, mais je veux être du premier rang au combat.

En ce moment quelques hommes en blouse, de ceux que le 10 décembre avait embrigadés, parurent à l’angle de la rue Sainte-Marguerite, tout près de la barricade, et crièrent : A bas les vingt-cinq francs !

Baudin, qui avait déjà choisi son poste de combat et qui était debout sur la barricade, regarda fixement ces hommes, et leur dit :

Vous allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs !

Un bruit se fit dans la rue. Quelques dernières portes restées entr’ouvertes se fermèrent. Les deux colonnes d’attaque venaient d’arriver en vue de la barricade. Plus loin on apercevait confusément d’autres rangées de bayonnettes. C’étaient celles qui m’avaient barré le passage.

Schœlcher, élevant le bras avec autorité, fit signe au capitaine qui commandait le premier peloton d’arrêter.

Le capitaine fit de son épée nue un signe négatif. Tout le 2 décembre était dans ces deux gestes. La loi disait :

— Arrêtez ! Le sabre répondait : – Non !

Les deux compagnies continuèrent d’avancer, mais à pas lents et en gardant leurs intervalles.

Schœlcher descendit de la barricade dans la rue. De Flotte, Dulac, Malardier, Brillier, Maigne, Bruckner, le suivirent.

Alors on vit un beau spectacle.

Sept représentants du peuple, sans autre arme que leurs écharpes, c’est-à-dire majestueusement revêtus de la loi et du droit, s’avancèrent dans la rue hors de la barricade, et marchèrent droit aux soldats, qui les attendaient le fusil en joue.

Les autres représentants restés dans la barricade disposaient les derniers apprêts de la résistance. Les combattants avaient une attitude intrépide. Le lieutenant de marine Cournet les dominait tous de sa haute taille. Baudin, toujours debout sur l’omnibus renversé, dépassait la barricade de la moitié du corps.

En voyant approcher les sept représentants, les soldats et les officiers eurent un moment de stupeur. Cependant le capitaine fit signe aux représentants d’arrêter.

Ils s’arrêtèrent en effet, et Schœlcher dit d’une voix grave :

— Soldats ! nous sommes les représentants du peuple souverain, nous sommes vos représentants, nous sommes les élus du suffrage universel. Au nom de la Constitution, au nom du suffrage universel, au nom de la République,