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rection avaient dû passer la nuit là, je jugeai utile d’aller les prendre pour nous rendre tous ensemble à la salle Roysin.

Je ne trouvai rue des Moulins que Madame Landrin. On croyait la maison dénoncée et surveillée, et mes collègues s’étaient transportés rue Villedo, n° 7, chez l’ancien constituant Leblond, avocat des associations ouvrières. Jules Favre y avait passé la nuit. Madame Landrin déjeunait, elle m’offrit place à côté d’elle, mais le temps pressait, j’emportai un morceau de pain, et je partis.

Rue Villedo, n° 7, la servante qui vint m’ouvrir m’introduisit dans un cabinet où étaient Carnot, Michel (de Bourges), Jules Favre, et le maître de la maison, notre ancien collègue, le constituant Leblond.

— J’ai en bas une voiture, leur dis-je ; le rendez-vous est pour neuf heures à la salle Roysin, au faubourg Saint-Antoine. Partons.

Mais ce n’était point leur avis. Selon eux, les tentatives faites la veille au faubourg Saint-Antoine avaient éclairé ce côté de la situation ; elles suffisaient ; il était inutile d’insister ; il était évident que les quartiers populaires ne se lèveraient pas, il fallait se tourner du côté des quartiers marchands, renoncer à remuer les extrémités de la ville et agiter le centre. Nous étions le comité de résistance, l’âme de l’insurrection ; aller au faubourg Saint-Antoine, investi par des forces considérables, c’était nous livrer à Louis Bonaparte. Ils me rappelèrent ce que j’avais moi-même dit la veille, rue Blanche, à ce sujet. Il fallait organiser immédiatement l’insurrection contre le coup d’État, et l’organiser dans les quartiers possibles, c’est-à-dire dans le vieux labyrinthe des rues Saint-Denis et Saint-Martin ; il fallait rédiger des proclamations, préparer des décrets, créer un mode de publicité quelconque ; on attendait d’importantes communications des associations ouvrières et des sociétés secrètes. Le grand coup que j’aurais voulu porter par notre réunion solennelle de la salle Roysin avorterait ; ils croyaient devoir rester où ils étaient, et, le comité étant peu nombreux et le travail à faire étant immense, ils me priaient de ne pas les quitter.

C’étaient des hommes d’un grand cœur et d’un grand courage qui me parlaient, ils avaient évidemment raison ; mais je ne pouvais pas, moi, ne point aller au rendez-vous que j’avais moi-même fixé. Tous les motifs qu’ils me donnaient étaient bons, j’aurais pu opposer quelques doutes pourtant, mais la discussion eût pris trop de temps, et l’heure avançait. Je ne fis pas d’objections, et je sortis du cabinet sous un prétexte quelconque. Mon chapeau était dans l’antichambre, mon fiacre m’attendait, et je pris le chemin du faubourg Saint-Antoine.

Le centre de Paris semblait avoir gardé sa physionomie de tous les jours. On allait et venait, on achetait et on vendait, on jasait et on riait comme à