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républicains, et qu’on le verrait bien. Il dit tout cela simplement, avec une sorte d’embarras fier et de rudesse honnête. Il tint parole. Je le trouvai le lendemain combattant dans la barricade Rambuteau.

Mathieu (de la Drôme) entra comme l’ouvrier finissait. – J’apporte des nouvelles, cria-t-il. Il se fit un profond silence.

Comme je l’ai dit déjà, depuis le matin nous savions vaguement que la droite avait dû s’assembler, et qu’un certain nombre de nos amis avaient probablement fait partie de la réunion, et c’était tout. Mathieu (de la Drôme) nous apportait les faits de la journée, les détails des arrestations à domicile exécutées sans obstacle, la réunion Daru brutalisée rue de Bourgogne, les représentants chassés de la salle de l’Assemblée, la platitude du président Dupin, l’évanouissement de la Haute Cour, la nullité du conseil d’État, la triste séance de la mairie du Xe arrondissement, l’avortement Oudinot, l’acte de déchéance du président, les deux cent vingt empoignés et menés au quai d’Orsay. Il termina virilement. Le devoir de la gauche croissait d’heure en heure. Le lendemain serait probablement décisif. Il adjura la réunion d’aviser.

Un ouvrier ajouta un fait. Il s’était trouvé le matin rue de Grenelle, sur le passage des membres de l’Assemblée arrêtés ; il était là au moment où l’un des commandants des chasseurs de Vincennes avait prononcé cette parole : – Maintenant c’est le tour de messieurs les représentants rouges. Gare à eux !

Un des rédacteurs de la Révolution, Hennett de Kesler, qui fut plus tard un proscrit intrépide, compléta les renseignements de Mathieu (de la Drôme). Il raconta la démarche faite par deux membres de l’Assemblée près du soi-disant ministre de l’intérieur Morny et la réponse dudit Morny : « Si je trouve des représentants derrière les barricades, je les fais tous fusiller jusqu’au dernier » ; et cet autre mot du même drôle à propos des membres emmenés quai d’Orsay : Ce sont là les derniers représentants qu’on fera prisonniers. Il nous informa qu’une affiche s’imprimait en ce moment-là même à l’Imprimerie nationale, déclarant que « quiconque serait saisi dans un conciliabule serait immédiatement fusillé ». L’affiche parut en effet le lendemain matin.

Baudin se leva. – Le coup d’État redouble de rage, s’écria-t-il. Citoyens, redoublons d’énergie !

Tout à coup un homme en blouse entra. Il était essoufflé. Il accourait. Il nous annonça qu’il venait de voir, et il insista – de voir de ses yeux – dans la rue Popincourt un bataillon qui marchait en silence et se dirigeait vers l’Impasse du n° 82, que nous étions investis et que nous allions être attaqués. Il nous conjura de nous disperser sur-le-champ.