Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Michel (de Bourges), en entrant, s’écria : — Nous sommes venus chercher le peuple au faubourg Saint-Antoine. Nous y voici. Il faut y rester !

On applaudit ces paroles.

On exposa la situation, la torpeur des faubourgs, personne à l’association des ébénistes, les portes fermées presque partout. Je racontai ce que j’avais vu et entendu rue de la Roquette, les appréciations du marchand de vin Auguste sur l’indifférence du peuple, les espérances de l’ouvrier mécanicien, la possibilité d’un mouvement dans la nuit au faubourg Saint-Marceau. On convint qu’au premier avis qui me serait donné, j’irais.

Du reste, on ne savait rien encore de ce qui s’était passé dans la journée. On annonça que M. Hovyn, lieutenant-colonel de la 5e légion de la garde nationale, avait envoyé des ordres de convocation aux officiers de la légion.

Survinrent quelques écrivains démocrates, parmi lesquels Alexandre Rey et Xavier Durieu, avec Kesler, Fillias et Amable Lemaître, de la Révolution ; un de ces écrivains était Millière.

Millière avait une large déchirure saignante au-dessus du sourcil ; le matin même, en nous quittant, comme il emportait une des copies de la proclamation que j’avais dictée, un homme s’était jeté sur lui pour la lui arracher, la police était évidemment déjà avertie de la proclamation et la guettait ; Millière avait lutté corps à corps avec l’agent de police et l’avait terrassé, non sans emporter cette balafre. Du reste, la proclamation n’était pas encore imprimée. Il était près de neuf heures du soir et rien ne venait. Xavier Durieu affirma qu’une heure ne se passerait pas sans qu’on eût les quarante mille exemplaires promis. On espérait en couvrir dans la nuit les murs de Paris. Chacun des assistants devait se faire afficheur.

Il y avait parmi nous, ce qui était inévitable dans la confusion orageuse de ces premiers moments, beaucoup d’hommes que nous ne connaissions pas. Un de ces hommes avait apporté dix ou douze copies de l’appel aux armes. Il me pria de les signer de ma main afin de pouvoir, disait-il, montrer ma signature au peuple… – Ou à la police, me dit tout bas Baudin en souriant. Nous n’en étions pas à prendre de ces précautions-là. Je donnai à cet homme toutes les signatures qu’il voulut.

Jules Favre prit la parole. Il importait de constituer l’action de la gauche, d’imprimer au mouvement qui se préparait l’unité d’impulsion, de lui créer un centre, de donner à l’insurrection un pivot, à la gauche une direction, au peuple un point d’appui. Il proposa la formation immédiate d’un comité représentant la gauche entière dans toutes ses nuances, et chargé d’organiser et de diriger l’insurrection.

Tous les représentants acclamèrent cet éloquent et courageux homme. On proposa sept membres. On nomma sur-le-champ Carnot, de Flotte,