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xiii
LOUIS BONAPARTE DE PROFIL.

Les esprits de tous ces hommes, insistons-y, étaient très diversement émus.

La fraction légitimiste extrême, qui représente la blancheur du drapeau, n’était pas, il faut le dire, fort exaspérée du coup d’État. Sur beaucoup de visages on pouvait lire le mot de M. de Falloux : Je suis si satisfait que j’ai bien de la peine à ne sembler que résigné. Les purs baissaient les yeux ; cela sied à la pureté ; les hardis levaient le front. On avait une indignation impartiale qui permettait d’admirer un peu. Comme ces généraux ont été habilement mis dedans ! la patrie assassinée, c’est horrible ; mais on s’extasiait sur l’escamotage mêlé au parricide. Un des principaux disait avec un soupir d’envie et de regret : Nous n’avons pas d’homme de ce talent-là ! Un autre murmurait : C’est de l’ordre. Et il ajoutait : Hélas ! Un autre s’écriait : C’est un crime affreux, bien fait. Quelques-uns flottaient, attirés d’un côté par la légalité qui était dans l’Assemblée et de l’autre par l’abomination qui était en Bonaparte, honnêtes âmes en équilibre entre le devoir et l’infamie. Il y eut un M. Thomine-Desmasures qui vint jusqu’à la porte de la grande salle de la mairie, s’arrêta, regarda dedans, regarda dehors, et n’entra pas. Il serait injuste de ne pas constater que d’autres, parmi les purs royalistes, et entre tous M. de Vatimesnil, avaient l’accent sincère et la probe fureur de la justice.

Quoi qu’il en soit, le parti légitimiste, considéré dans son ensemble, n’avait pas l’horreur du coup d’État. Il ne craignait rien. Au fait, les royalistes craindre Louis Bonaparte ? Pourquoi ?

On ne craint pas l’indifférence. Louis Bonaparte était un indifférent. Il ne connaissait qu’une chose, son but. Broyer la route pour y arriver, c’était tout simple ; laisser le reste tranquille. Toute sa politique était là. Ecraser les républicains, dédaigner les royalistes.

Louis Bonaparte n’avait aucune passion. Celui qui écrit ces lignes, causant un jour de Louis Bonaparte avec l’ancien roi de Westphalie, disait : — En lui, le Hollandais calme le Corse. – Si Corse il y a, répondit Jérôme.

Louis Bonaparte n’a jamais été qu’un homme qui guette le hasard, espion tâchant de duper Dieu. Il avait la rêverie livide du joueur, qui triche. La tricherie admet l’audace et exclut la colère. Dans sa prison de Ham, il ne lisait qu’un livre, le Prince. Il n’avait pas de famille, pouvant hésiter entre Bonaparte et Verhuell ; il n’avait pas de patrie, pouvant hésiter entre la France et la Hollande.