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bonne humeur, féroce, bien mis, intrépide, laissant volontiers sous les verrous un frère prisonnier, et prêt à risquer sa tête pour un frère empereur, ayant la même mère que Louis Bonaparte, et, comme Louis Bonaparte, un père quelconque, pouvant s’appeler Beauharnais, pouvant s’appeler Flahaut, et s’appelant Morny, poussant la littérature jusqu’au vaudeville et la politique jusqu’à la tragédie, viveur tueur, ayant toute la frivolité conciliable avec l’assassinat, pouvant être esquissé par Marivaux, à la condition d’être ressaisi par Tacite, aucune conscience, une élégance irréprochable, infâme et aimable, au besoin parfaitement duc ; tel était ce malfaiteur.

Il n’était pas encore six heures du matin. Les troupes commençaient à se masser place de la Concorde, où Leroy-Saint-Arnaud, à cheval, les passait en revue.

Les commissaires de police Bertoglio et Primorin firent mettre en bataille deux compagnies sous la voûte du grand escalier de la questure, mais ne montèrent pas par là. Ils s’étaient fait accompagner d’agents de police qui connaissaient les recoins les plus secrets du palais Bourbon. Ils prirent par les couloirs.

Le général Le Flô était logé dans le pavillon habité par M. de Feuchères du temps de M. le duc de Bourbon. Le général Le Flô avait chez lui cette nuit-là sa sœur et son beau-frère, qui étaient venus lui faire visite à Paris et qui couchaient dans une chambre dont la porte donnait sur un des corridors du palais. Le commissaire Bertoglio heurta à cette porte, se la fit ouvrir, et se rua brusquement lui et ses agents dans cette chambre où une femme était couchée. Le beau-frère du général se jeta à bas du lit, et cria au questeur qui dormait dans une pièce voisine : Adolphe, on force les portes, le palais est plein de soldats, lève-toi ! Le général ouvrit les yeux, il vit le commissaire Bertoglio debout devant son lit.

Il se dressa sur son séant.

— Général, dit le commissaire, je viens remplir un devoir.

— Je comprends, dit le général Le Flô, vous êtes un traître.

Le commissaire, balbutiant les mots de « complot contre la sûreté de l’État », déploya un mandat d’amener. Le général, sans prononcer une parole, frappa cet infâme papier d’un revers de main.

Puis il s’habilla, et revêtit son grand uniforme de Constantine et de Médéa, s’imaginant dans sa loyale illusion militaire qu’il y avait encore pour les soldats qu’il allait trouver sur son passage des généraux d’Afrique. Il n’y avait plus que des généraux de guet-apens. Sa femme l’embrassait ; son fils, enfant de sept ans, en chemise et pleurant, disait au commissaire de police : Grâce, monsieur Bonaparte !

Le général, en serrant sa femme dans ses bras, lui murmura à l’oreille :

— Il y a des pièces dans la cour, tâche de faire tirer un coup de canon !