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Une demi-heure après, l’adjudant-major revint. — Eh bien, demanda le commandant, que vous voulait le colonel ? — Rien, répondit l’adjudant, il avait à me donner des ordres de service pour demain. — Une partie de la nuit s’écoula. Vers quatre heures du matin, l’adjudant-major revint près du chef de bataillon : — Mon commandant, dit-il, le colonel me fait demander. — Encore ! s’écria le commandant, ceci devient étrange ; allez-y pourtant.

L’adjudant-major avait, entre autres fonctions, celle de donner les consignes, et par conséquent de les lever.

Dès que l’adjudant-major fut sorti, le chef de bataillon, inquiet, pensa qu’il était de son devoir d’avertir le commandant militaire du palais. Il monta à l’appartement du commandant qui s’appelait le lieutenant-colonel Niol ; le colonel Niol était couché ; les gens de service avaient regagné leurs chambres dans les combles ; le chef de bataillon, tâtonnant dans les corridors, nouveau dans les palais, connaissant peu les êtres, sonna à une porte qui lui sembla celle du commandant militaire. On ne vint pas ; la porte ne s’ouvrit point ; le chef de bataillon redescendit sans avoir pu parler à personne.

De son côté, l’adjudant-major rentra au palais, mais le chef de bataillon ne le revit pas. L’adjudant resta près de la grille de la place de Bourgogne, enveloppé dans son manteau, et se promenant dans la cour comme quelqu’un qui attend.

À l’instant où cinq heures sonnaient à la grande horloge du dôme, les troupes qui dormaient dans le camp baraqué des Invalides furent réveillées brusquement. L’ordre fut donné à voix basse dans les chambrées de prendre les armes en silence. Peu après, deux régiments, le sac au dos, se dirigeaient vers le palais de l’Assemblée. C’était le 6e et le 42e.

À ce même coup de cinq heures, sur tous les points de Paris à la fois, l’infanterie sortait partout et sans bruit de toutes les casernes, les colonels en tête. Les aides de camp et les officiers d’ordonnance de Louis Bonaparte, disséminés dans tous les casernements, présidaient à la prise d’armes. On ne mit la cavalerie en mouvement que trois quarts d’heure après l’infanterie, de peur que le pas des chevaux sur le pavé ne réveillât trop tôt Paris endormi.

M. de Persigny, qui avait apporté de l’Élysée au camp des Invalides l’ordre de prise d’armes, marchait en tête du 42e, à côté du colonel Espinasse. On a raconté dans l’armée, car aujourd’hui, blasé qu’on est sur ces faits douloureux pour l’honneur, on les y raconte avec une sorte de sombre indifférence, on a raconté qu’au moment de sortir avec son régiment, un des colonels, on pourrait le nommer, avait hésité, et que l’homme de l’Élysée, tirant