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ou cinq heures. C’était chez elle, portes closes, domestiques couchés, la famille réunie, c’est-à-dire onze personnes : « II fallait faire la lecture à cette heure-là ou attendre peut-être huit ou dix jours pour connaître l’œuvre de notre grand poète, de notre grand orateur. Nous ne voulûmes pas attendre ; et bien nous en prit, car nous fûmes transportés, enthousiasmés. » C’est ma parente qui parle.

Le II  novembre 1852, Hetzel répond à Victor Hugo :

1o  Une nouvelle édition de 10,500 exemplaires est prête, l’autre est donc vendue.

2o  Je fais tirer tout de suite, pour n’être pas arrêté par la loi nouvelle et pour éviter les ignobles lenteurs de l’édition petit texte, une édition à 5,000, format des mémoires de Dumas et pareille à la première édition. C’est une provision que je fais pour le cas où, la loi passant, il n’y aurait plus possibilité de fabriquer. J’ai organisé en France deux services pour la contrebande. Et j’irai partout où il faudra, si la Belgique nous est fermée, pour pousser cette affaire ou toute autre.

Le 17 novembre, Alexandre Dumas disait :

Nous faisions passer en France des Napoléon-le-Petit par milliers : un de nos amis vient d’en emporter deux douzaines dans le buste du président lui-même.

Si Napoléon-le-Petit parvenait, à force de ruses, de détours et de dévouements, à pénétrer en France, il était furieusement pourchassé à l’étranger, ainsi qu’en témoigne cet extrait de journal :

Les journaux suisses publient la lettre suivante, adressée par M. Druey, ministre de la justice, à la direction de justice et de police de Berne :

«Berne, le 10 décembre 1852.

« Le ministre de France a remis, le 3 de ce mois, au président de la Confédération, une note en date du 29 novembre écoulé, portant : « que bon nombre de pamphlets de Victor Hugo pénètrent en France par la Suisse. Que cette propagande est, dit-on, organisée à Genève et à Morat, où il existe, à ce qu’on prétend, des imprimeries clandestines qui multiplient en toute sécurité les œuvres de cet anarchiste. Le ministre de France exprime ensuite l’attente que l’autorité fédérale mettra un terme à ces actes.

«…Vu la gravité de la plainte du ministre de France, et comme il importe beaucoup à la Suisse de ne pas fournir de griefs fondés à une puissance amie, mon département vous prie d’ordonner immédiatement les recherches propres à découvrir les faits ci-après :

« 1o  S’il existe réellement sur votre territoire des imprimeries clandestines qui multiplient les œuvres de Victor Hugo (telles que Napoléon-le-Petit), ainsi que celles d’Eugène Sue…

« 2o  Si les œuvres dont il s’agit ont été publiées publiquement dans votre canton…»

M. Druey concluait à la répression sévère de ces actes de clandestinité.

Décidément, l’anarchiste Victor Hugo était dangereux !

Le 6 janvier 1853, Hetzel recevait de Victor Hugo ce mot, daté de Marine-Terrace :

On m’annonce ici que Napoléon-le-Pelit a dû disparaître des affiches et devantures à Bruxelles. L’opinion est que cela ne s’en vendra que mieux. Je sais aussi que c’est votre avis.

On peut dire, en effet, que plus les obstacles à la vente se multipliaient, plus la vente augmentait. Par la poste, par des voyageurs, par des bateaux de pécheurs, des exemplaires arrivaient dans toute la France.

Cependant le gouvernement exerçait une surveillance active, faisait fouiller les voyageurs à la frontière et décacheter les lettres qui lui paraissaient suspectes. Neuf mois après la publication du livre, en avril 1853, la persécution était aussi violente qu’aux premiers jours. Témoin cette note de Victor Hugo que nous avons retrouvée :

On peut juger par un fait à quel point, quels que soient les efforts du despotisme, la pensée est incompressible. Depuis neuf mois qu’il a paru, le Napoléon-le-Petit de Victor Hugo est le point de mire de toute la police bonapartiste en France, de toute la