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Et cependant Victor Hugo ne se décourageait pas, témoin ces deux notes :

1852. 22 janvier. Bruxelles


J’aime la proscription, j’aime l’exil, j’aime mon galetas de la grande place, j’aime la pauvreté, j’aime l’adversité, j’aime tout ce que je souffre pour la liberté, pour la patrie et pour le droit ; j’ai la conscience joyeuse ; mais c’est toujours une chose douloureuse de marcher sur la terre étrangère.

Hier un chien qui m’aime ici était sauté sur mes genoux ; il y était mal à l’aise, pourtant il voulait y rester. Je disais : le cœur est content, mais les pattes sont malheureuses. Telle est ma situation en exil.

Bruxelles, mars 1852.

Vie pauvre, exil, mais liberté. Mal logé, mal couché, mal nourri. Qu’importe que le corps soit à l’étroit pourvu que l’esprit soit au large !

Il travaillait.

Charles Hugo sortait de prison le 28 janvier. Victor Hugo devait songer à le loger. À la fin du mois, il quittait le n° 16 de la grande place et allait au n° 27 changeant pour la troisième fois de domicile. Il occupait au premier étage une chambre très haute de plafond, meublée d’un divan de crin qui se transformait en lit, de six chaises, d’une table ronde pour le travail et les repas, d’un vieux miroir surmontant une cheminée ; il avait une haute fenêtre dans laquelle s’encadrait le magnifique hôtel de ville.

Le logis du poëte proscrit était bien pauvre, mais quel luxe que cette fenêtre ! Sa chambre avait une exposition superbe sur l’art, la civilisation et l’histoire[1].

Victor Hugo organisait ainsi sa journée :

Je me lève, écrivait-il à sa femme le 14 février, à huit heures du matin ; puis je me mets au travail. Je travaille jusqu’à midi : déjeuner. Je reçois jusqu’à trois heures. À trois heures, je travaille. À cinq heures, dîner. Je digère (flânerie ou visite quelconque) jusqu’à dix heures. À dix heures, je rentre, et je travaille jusqu’à minuit[2].

Le dîner avait lieu à table d’hôte avec Alexandre Dumas, Noël Parfait, Bancel, etc.

On se communiquait les nouvelles reçues de Paris et d’ailleurs régulièrement mauvaises, les journaux étant sans cesse sous le coup des avertissements, des poursuites, des suspensions, des suppressions. Les prisonniers de la Conciergerie, toujours vaillants, cherchaient une formule qui leur permît de ne pas rester les témoins muets de l’arbitraire. Paul Meurice écrit de la prison , le 21 février, à Victor Hugo :

…Ici, toujours le même marasme et la même irritation sourde. La France s’ennuyait peut-être sous Louis-Philippe, mais aujourd’hui à coup sûr elle s’embête dans toute l’acception du terme. La bourgeoisie est encore sous le coup du décret de confiscation des biens des Orléans. Le peuple n’a pas du tout goûté « le socialisme à l’américaine » du président. Tout le monde est sûr que cela finira, mais comment cela finira-t-il ? voilà la question.

Vous avez lu l’ukase sur la presse. C’est la censure la plus cruelle, la censure exercée sur soi même, par soi-même, avec la confiscation pour perspective si l’on a la moindre pitié de sa conscience et la moindre faiblesse pour sa liberté. Un journal est-il possible dans de telles conditions ? Nous avons dit non à Bernard qui est venu nous voir hier avec l’intention de faire reparaître l'Évènement. Il assure qu’il trouverait le cautionnement. La seule affaire vraisemblable serait celle-ci : une feuille de l’ancien petit format de l’Évènement à deux sols le numéro, qui donnerait tous les jours un feuilleton, ne ferait jamais d’article de discussion et se bornerait, dans le haut, à une pure et simple chronique, réimpression du Moniteur, procès-verbaux officiels des chambres, faits du dehors et du dedans. Ce serait comme une muette protestation quotidienne. Mais cela même est-il faisable, vous absent et vos fils allant vous rejoindre ? Auguste voudrait pourtant avoir votre avis là-dessus ?

Et votre livre, où en est-il ? Voilà où est

  1. Les Hommes de l'exil, par Charles Hugo
  2. Correspondance