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L’histoire a ses tigres. Les historiens, gardiens immortels d’animaux féroces, montrent aux nations cette ménagerie impériale. Tacite à lui seul, ce grand belluaire, a pris et enfermé huit ou dix de ces tigres dans les cages de fer de son style. Regardez-les, ils sont épouvantables et superbes ; leurs taches font partie de leur beauté. Celui-ci, c’est Nemrod, le chasseur d’hommes ; celui-ci, c’est Busiris, le tyran d’Égypte ; celui-ci, c’est Phalaris, qui faisait cuire des hommes vivants dans un taureau d’airain, afin de faire mugir le taureau ; celui-ci, c’est Assuérus qui arracha la peau de la tête aux sept Macchabées et les fit rôtir vifs ; celui-ci, c’est Néron, le brûleur de Rome, qui enduisait les chrétiens de cire et de bitume et les allumait comme des flambeaux ; celui-ci, c’est Tibère, l’homme de Caprée ; celui-ci, c’est Domitien ; celui-ci, c’est Caracalla ; celui-ci, c’est Héliogabale ; cet autre, c’est Commode, qui a ce mérite de plus dans l’horreur qu’il était le fils de Marc-Aurèle ; ceux-ci sont des czars ; ceux-ci sont des sultans ; ceux-ci sont des papes ; remarquez parmi eux le tigre Borgia ; voici Philippe dit le Bon, comme les furies étaient dites Euménides ; voici Richard III, sinistre et difforme ; voici, avec sa large face et son gros ventre, Henri VIII, qui sur cinq femmes qu’il eut en tua trois dont il éventra une ; voici Christiern II, le Néron du nord ; voici Philippe II, le Démon du midi. Ils sont effrayants ; écoutez-les rugir, considérez-les l’un après l’autre ; l’historien vous les amène, l’historien les traîne, furieux et terribles, au bord de la cage, vous ouvre les gueules, vous fait voir les dents, vous montre les griffes ; vous pouvez dire de chacun d’eux : c’est un tigre royal. En effet, ils ont été pris sur tous les trônes. L’histoire les promène à travers les siècles. Elle empêche qu’ils ne meurent ; elle en a soin. Ce sont ses tigres.

Elle ne mêle pas avec eux les chacals.

Elle met et garde à part les bêtes immondes. M. Bonaparte sera, avec Claude, avec Ferdinand VII d’Espagne, avec Ferdinand II de Naples, dans la cage des hyènes.

C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie qui vivait d’expédients en Angleterre ; sa prospérité actuelle, son triomphe et son empire et son gonflement n’y font rien ; ce manteau de pourpre traîne sur des bottes éculées. Napoléon-le-Petit ; rien de plus, rien de moins. Le titre de ce livre est bon.

La bassesse de ses vices nuit à la grandeur de ses crimes. Que voulez-vous ? Pierre le Cruel massacrait, mais ne volait pas ; Henri VIII assassinait, mais n’escroquait pas ; Timour écrasait les enfants aux pieds des chevaux, à peu près comme M. Bonaparte a exterminé les femmes et les vieillards sur le boulevard, mais il ne mentait pas. Écoutez l’historien arabe : « Timour-Beig, sahebkeran (maître du monde et du siècle, maître des conjonctions