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société, les fonctionnaires, par exemple, tombent en pourriture. Gardez les cadavres dans vos maisons, la peste éclatera.

Fatalement, cette politique aveugle ceux qui la pratiquent. Ces hommes qui se qualifient hommes d’État en sont à ne pas comprendre qu’ils ont fait eux-mêmes, de leurs mains et à grand’peine et à la sueur de leur front, ces événements terribles dont ils se lamentent, et que ces catastrophes qui croulent sur eux ont été construites par eux. Que dirait-on d’un paysan qui ferait un barrage d’un bord à l’autre d’une rivière devant sa cabane, et qui, quand la rivière, devenue torrent, déborderait, quand elle renverserait son mur, quand elle emporterait son toit, s’écrierait : méchante rivière ! Les hommes d’État du passé, ces grands constructeurs de digues en travers des courants, passent leur temps à s’écrier : méchant peuple !

Otez Polignac et les ordonnances de juillet, c’est-à-dire le barrage, et Chartes X serait mort aux Tuileries. Réformez en 1847 la loi électorale, c’est-à-dire encore ôtez le barrage, Louis-Philippe serait mort sur le trône. — Est-ce à dire que la République ne serait pas venue ? Cela, non. La République, répétons-le, c’est l’avenir ; elle serait venue, mais pas à pas, progrès à progrès, conquête à conquête, comme un fleuve qui coule et non comme un déluge qui envahit ; elle serait venue à son heure, quand tout aurait été prêt pour la recevoir ; elle serait venue, non pas certes plus viable, car dès à présent elle est indestructible, mais plus tranquille, sans réaction possible, sans princes la guettant, sans coup d’État derrière elle.

La politique de résistance au mouvement humain excelle, insistons sur ce point, à créer des cataclysmes artificiels. Ainsi elle avait réussi à faire de l’année 1852 une sorte d’éventualité redoutable, et cela toujours par le même procédé, au moyen d’un barrage. Voici un chemin de fer, le convoi va passer dans une heure ; jetez une poutre en travers des rails, quand le convoi arrivera il s’y écrasera, vous aurez Fampoux ; ôtez la poutre avant l’arrivée du train, le convoi passera sans même se douter qu’il y avait là une catastrophe. Cette poutre, c’est la loi du 31 mai.

Les chefs de la majorité de l’Assemblée législative l’avaient jetée en travers de 1852, et ils criaient : c’est là que la société se brisera ! La gauche leur disait : ôtez la poutre ! – Otez la poutre, laissez passer librement le suffrage universel. Ceci est toute l’histoire de la loi du 31 mai.

Ce sont là des choses qu’un enfant comprendrait et que les « hommes d’État » ne comprennent pas. Maintenant répondons à la question que nous posions tout à l’heure : – Sans le 2 décembre, que se serait-il passé en 1852 ?

Supprimez la loi du 31 mai, ôtez au peuple son barrage, ôtez à Bonaparte son levier, son arme, son prétexte, laissez tranquille le suffrage universel,