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iii.
CE QU'EUT ÉTÉ 1852.

Mais sans cet abominable Deux-Décembre, « nécessaire » comme disent les complices et à leur suite les dupes, que se serait-il donc passé en France ? Mon Dieu ! ceci :

Remontons de quelques pas en arrière et rappelons sommairement la situation telle qu’elle était avant le coup d’État.

Le parti du passé, sous le nom de parti de l’ordre, résistait à la République, en d’autres termes résistait à l’avenir.

Qu’on s’y oppose ou non, qu’on y consente ou non, la République, toute illusion laissée de côté, est l’avenir, prochain ou lointain, mais inévitable, des nations.

Comment s’établira la République ? Elle peut s’établir de deux façons, par la lutte ou par le progrès. Les démocrates la veulent par le progrès ; leurs adversaires, les hommes du passé, semblent la vouloir par la lutte. Comme nous venons de le rappeler, les hommes du passé résistent ; ils s’obstinent ; ils donnent des coups de hache dans l’arbre, se figurant qu’ils arrêteront la sève qui monte. Ils prodiguent la force, la puérilité et la colère.

Ne jetons aucune parole amère à nos anciens adversaires tombés avec nous, le même jour que nous, et plusieurs honorablement de leur côté ; bornons-nous à constater que c’est dans cette lutte que la majorité de l’Assemblée législative de France était entrée dès les premiers jours de son installation, dès le mois de mai 1849.

Cette politique de résistance est une politique funeste. Cette lutte de l’homme contre Dieu est nécessairement vaine ; mais, nulle comme résultat, elle est féconde en catastrophes. Ce qui doit être sera ; il faut que ce qui doit couler coule, que ce qui doit tomber tombe, que ce qui doit naître naisse, que ce qui doit croître croisse ; mais faites obstacle à ces lois naturelles, le trouble survient, le désordre commence. Chose triste, c’est ce désordre qu’on avait appelé l’ordre.

Liez une veine, vous avez la maladie ; entravez un fleuve, vous avez l’inondation ; barrez l’avenir, vous avez les révolutions.

Obstinez-vous à conserver au milieu de vous, comme s’il était vivant, le passé qui est mort, vous produisez je ne sais quel choléra moral ; la corruption se répand, elle est dans l’air, on la respire ; des classes entières de la