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nous allons à l’orphelinat, admirablement bien tenu. Il y a là une salle Louis XV complète, avec une élégante cheminée à trumeau de glace et à cadre d’or tarabiscoté, et une magnifique tenture de cuir à fond d’or. — Rien de charmant comme les petits lits des enfants les uns à côté des autres. Propreté vertueuse des dortoirs.

L’église, toute moderne, est laide. L’ancienne, dont il reste un magnifique tronçon de tour, a été brûlée vers 1834. On l’a rebâtie dans le goût Louis XVIII. Pour cela on a démoli bêtement la ruine qui était superbe. Comme j’allais passer devant cette basilica sans y entrer, les magistrats qui nous guident me disent que l’organiste est à son buffet dans l’église, et m’attend pour me faire entendre l’orgue. Nous entrons. Très bel orgue. Je remercie et je félicite l’organiste. Le clocher, tronqué mais debout, est superbe. C’est une splendide masure de campanule. Il est isolé de l’église. On va l’utiliser, et des maçons le gâtent. J’en fais l’observation au secrétaire de la ville, M. Hermerins, et je le prie de défendre l’édifice contre l’architecte. Je monte dans la tour avec Victor et un des magistrats. Sommet. Nous venons de franchir presque en courant 278 marches. Je respire sur le haut.

Admirable paysage. À nos pieds Zicrykzée, pittoresque échiquier de rues et de maisons à devantures peintes et sculptées et à pignons en escaliers, avec les tourelles aiguës des porte-forteresses, et le beffroi bosselé de l’hôtel-de-ville ; au delà une plaine couverte de cultures vertes et jaunes, marquant les différences des semailles et des moissons ; au fond, de toutes parts, la mer. C’est la mer du Nord. Le canal de Zierykzée à l’Escaut coupe ce pêle-mêle d’une ligne droite, qui, toute lumineuse, ne gâte rien. Victor et moi grimpons sur le parapet pour mieux voir. Cette plateforme ajoutée à la ruine est, du reste, absolument laide et maussade comme architecture.


22 août. — À neuf heures du matin, deux voitures viennent nous chercher, un char à bancs appartenant à M. Van Maenem, et une calèche appartenant à …[1]. Je monte dans la calèche et nous partons pour Browershaven, qui est à cinq lieues au bord de la mer. Nous sortons par une porte de la ville du seizième siècle à double pignon volute. Au sommet du pignon de gauche on aperçoit une épée, la pointe vers le ciel, qu’y a plantée au seizième siècle un capitaine espagnol, nommé Mondragon, en s’emparant de la ville. Les vaincus ont respecté l’épée du vainqueur, et la montrent aux étrangers. Nous passons devant une autre porte, plus ancienne (du quatorzième siècle), à deux tours pointues, l’une s’appelle Marie et l’autre

  1. Le nom est reste en blanc.