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montargis.


3 octobre.

Montargis m’est apparu égayé par un jour de foire, attristé par un jour de pluie. Les chèvres, les bœufs, les vaches baissaient leur tête oblique liée par une corde et tirée par un bouvier, les paysans endimanchés, les paysannes juchées sur leur charrette, encombraient les rues et les places. Partout le bruit, le mouvement, le choc des enchères, les éclats de rire ; partout les boutiques en plein vent, les étoffes déployées, les vaisselles étalées à terre, les passequilles et les bimbeloteries ; partout aussi la boue, l’ondée et les parapluies ouverts. Çà et là des tréteaux ; une vieille femme debout sur un cabriolet, ornée d’une perruque jaune et d’un turban rouge à gland d’argent, offrait aux marchands de bœufs ébahis une poudre merveilleuse et montrait des vers solitaires dans des fioles ; un saltimbanque coiffé de chiendent cabriolait sur des chaises cassées ; les bateleurs étaient en verve ; la foule était en joie ; mais tous les paillasses du monde ne valent pas un rayon de soleil.

La ville, entourée de verdure, baignée d’un côté par le Loing, de l’autre par le canal, est jolie. Il reste quelques tours de la vieille enceinte du treizième siècle dont les bourgeois ont fait des terrasses et des tonnelles pour leurs jardinets. Çà et là, le canal, bordé de tanneries, rappelle Louviers et Amiens. L’église qu’on nomme, je crois, Sainte-Marguerite, est un assez beau vaisseau du quinzième siècle. L’abside va jusqu’au seizième. Des gens d’esprit ont remplacé les anciennes verrières par d’affreuses vitrailles de couleur dans le goût du café turc.

J’étais curieux de voir le château, ce magnifique château de Montargis, célèbre dans toute l’Europe, dont la grand’salle dépassait en longueur et en largeur la salle des pas-perdus du palais de justice de Paris. Je suis monté sur la colline par un escalier entre deux maisons ; j’ai franchi une haute porte-donjon du douzième siècle à archivolte romane ; j’ai traverse plusieurs cours, et je suis arrivé ainsi jusqu’à une claire-voie de bois peinte en gris fermant une allée d’arbres bas et touffus. J’ai poussé la claire-voie, et je suis entré dans l’allée. Au bout de l’allée j’ai trouvé une maison, une grande maison triste et blanchâtre, tapissée de figuiers, composée d’un seul étage avec un pavillon à toit pointu et une terrasse d’où l’on voit la ville et la plaine ; du reste solitaire, lézardée, délabrée, close, barricadée et déserte. Le jardin, plein de hautes herbes, envahi par la ronce et l’ortie, avait comme la maison quelque chose de farouche et de sauvage. Je cherchais des yeux à travers les branchages les hautes tours, les mâchicoulis sculptés, les créneaux formi-