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Montivilliers, 10 août, 8 heures du matin.

Tu es sans doute bien près d’arriver à Paris en ce moment, mon Adèle. Je n’ai pas voulu t’adresser ma dernière lettre (du Tréport) à Blois, de peur qu’elle ne t’y parvînt pas à temps. Tu l’ouvriras probablement en même temps que celle-ci.

Depuis que je t’ai écrit, j’ai vu tous les bords de la mer du Tréport au Havre, où je vais arriver dans trois heures.

J’ai vu Dieppe, dont le château, assez beau encore d’aspect, n’offre plus qu’un seul débris curieux, c’est une assez belle fenêtre de la Renaissance par laquelle s’est évadée, dit-on, la duchesse de Longueville, cette duchesse de Berry de son temps, plus belle que la nôtre pourtant. Au reste, il ne faut peut-être pas trop en croire la tradition. À Amboise, l’an passé, on m’a montré aussi une fenêtre par où l’on dit que la duchesse de Longueville s’est échappée. C’est une gracieuse fantaisie de la tradition que celle qui attache cette belle dame, au bout d’une échelle de corde, à toutes les jolies fenêtres de la Renaissance.

Du reste, ville assez insipide que Dieppe, à la mer près qui fait beau tout ce qu’elle touche, comme la poésie.

Après Dieppe, j’ai visité Saint-Valéry-en-Caux, petit port insignifiant. Mais une ville charmante, c’est Fécamp. L’église est du plus beau gothique sévère, presque romane, avec des chapelles de la Renaissance qui sont des bijoux, et de fort belles tombes du quinzième siècle. Presque plus de vitraux. Les débris du jubé, dispersés çà et là dans l’église, sont les plus admirables fragments qu’on puisse voir. Il y a là des têtes comme chez Raphaël dans une fort belle adoration de la Vierge au tombeau (de grandeur naturelle). Il y a une tête de sculpture peinte d’un homme qui tient un livre qui est le plus étonnant portrait d’Ingres que tu puisses te figurer. Je le défierais lui-même de se faire plus ressemblant.

De Fécamp, ne trouvant pas de voiture, je suis allé à pied à Étretat, qui est à quatre lieues, et d’Étretat ici, quatre autres lieues, ce qui m’a fait hier une assez bonne journée. Je suis arrivé à Montivilliers à onze heures du soir. J’ai frappé à la porte de l’auberge, et elle m’a été ouverte par une fort jolie châtelaine qui s’appelle Mlle  Bouju et qui m’a très gracieusement donné sa chambre, meublée des acajous les plus flambants, et son papier azuré sur lequel je t’écris, mon Adèle.

Ce que j’ai vu à Étretat est admirable. La falaise est percée de distance