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vignes au bas de la colline. J’arrache un échalas et je m’en aide pour monter.

Une étoile à la haute fenêtre de la tour comme une lampe allumée.

Voyage de nuit dans les montagnes jusqu’à Kaiserlautern. Aspects étranges du paysage. Eaux entrevues. On ne sait si ce sont des lacs ou des rivières. J’aperçois sur les collines dans les broussailles, dans l’ombre, des ruines hideuses et bizarres, de vieux châteaux écroulés et déformés par le lierre, habités par des spectres, disent les légendes ; la plupart de ces ruines dont on ne sait ni l’âge, ni l’origine, ni l’histoire, portent des noms singuliers dans le pays : Ne grognez pas ! (Murr’ mir nicht viel !). — Ne regardez pas en arrière ! (Schau dich nicht um !). — Un canton de la forêt s’appelle : Ne vous souciez de rien ! (Kehr dich an nichts !).

Un ciel blafard apparaît à travers les ogives noires. Le vent agite les broussailles sur les tronçons de vieilles tours. Comme les Septs-Monts, ces montagnes ont leur Drachenfels où Sigefroi-le-Cornu assiégea le dragon ; comme Lorch elles ont leur Heidemmaner ( mur des payens), un camp d’Attila sur une colline ; comme le Wisperthal, elles ont leur pierre du diable, leur Tenfelstein, roche percée où les druides faisaient leurs sacrifices. — Là aussi la caverne de Barberousse.


(Raconter la légende[1].)


VIII


Il y a un Rhin que tout le monde connaît ou du moins désire connaître. C’est le Rhin célèbre qui coule de Mayence à Cologne, ou pour parler plus exactement, de Bingen à Kœnigswinter, entre deux murailles de basalte. Mais il y a un autre Rhin qu’aucun voyageur ne côtoie et dont personne ne parle ; c’est celui qui coule du lac de Constance à Bâle entre deux collines de roche calcaire. À mon sens, le Rhin supérieur n’est pas moins beau que le Rhin inférieur. Le Rhin inférieur traverse un bouleversement volcanique, le Rhin supérieur traverse une formation diluvienne. Le Rhin inférieur est plus large, plus vivant, plus superbe, a plus de villes, plus de navires, plus de ruines, plus d’histoire, plus de souvenirs, plus de grandeur. Le Rhin supérieur est plus vert, plus sauvage, plus écumant, tout aussi encaissé ; il n’a pas les ponts de bateaux, mais il a les ponts de bois couverts ; il a l’ombre de la Forêt-Noire, et les quatre villes-forestières, Waldshut, Laufenburg, Sœckingen, Rheinfelden, qui égalent peut-être, sinon en grandeur monu-

  1. Cette légende est racontée dans Les Burgraves, acte I, scène des esclaves.