Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont les catholiques romains, de l’autre les luthériens. La messe agite sa clochette à droite, le prêche élève la voix à gauche ; l’église reste parfaitement tranquille.

Des religions qui se coudoient sans s’indigner sont des religions bien malades. Cette paix des églises partagées, c’est le bon voisinage de deux lits d’hôpital où chacun agonise de son côté.


II


— de donaueschingen à hausach. —
22 octobre.

Hautes colonnades grises des pins avec leurs chapiteaux verts. Bras noirs du chêne secouant au vent d’automne les rouges haillons de son feuillage.

Il a neigé cette nuit. La route court sur un haut plateau défriché. On ne voit autour de soi dans un immense horizon que des plaines blanches ce des bois noirs où volent par nuées des pies et des corbeaux. Une fumée de charbonnerie sortant çà et là d’entre les sapins raie ce paysage demi deuil.

Goût d’ornement de ces paysans. — Dans les villages, pots de fleurs peints sur les chaumières les plus misérables, ou paysages naïfs à perspective chinoise. Des entrelacements de joncs de diverses couleurs font des arabesques aux paniers des servantes. Les manches à balai rubannés de rouge et de bleu. Les seaux et les baquets peints. Les coffres coloriés avec rosaces et compartiments bleus et rouges. Une madone peinte sur le tamis.

Jolis costumes des femmes. Calottes brodées, jupes noires, corsets galonnés lacés par devant avec des rubans bouton d’or, bas mi-partis bleu et blanc, chemises à grosses manches blanches ; bras nus, même sous le givre et la glace. La coquetterie est une perce-neige.

Rouliers à dix chevaux. Aigles à deux têtes imprimés sur les plaques de cuir des harnais.

Solitudes profondes. De temps en temps passe un roi homérique avec son ministre et son peuple, c’est-à-dire un berger avec son chien et son troupeau de moutons.

Toujours des paysans Louis XV. Un ruban moiré et un large anneau d’argent à leur chapeau.

Dans les auberges, on vous change vos pièces d’or contre des cuivrailles quelconques. Plus je vois les liards étrangers, plus j’apprécie les napoléons français.