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profondes entrevues à travers une colonnade d’énormes troncs d’arbres. Dans ces clairières paissaient des troupeaux frissonnants de biches et de daims, et de petits ruisseaux d’argent, où les fées venaient la nuit laver leurs pieds nus, y coulaient sur un joyeux gazon vert. Les arbres avaient pris un feuillage distinct, et étaient devenus des chênes immenses. Sous ces branchages qui avaient encore je ne sais quoi de surnaturel, erraient des figures, des visions, des apparitions tantôt charmantes, tantôt redoutables. C’était la duchesse Ottilia, ou l’abbesse Margeretha, ou le sévère Hermann Ier, rhingrave de Freiburg au onzième siècle, marchant gravement, le casque en tête, avec sa longue barbe, vêtu d’une robe blanche et d’un scapulaire noir, un bâton dans une main, un livre dans l’autre, ou l’antique Berthold, landgrave du Brisgau, duc de Souabe, marquis de Vérone et de Bade, entièrement habillé de fer et secouant un lion sur sa bannière, ou le jeune margrave Jacob passant sous les futaies avec son motion ducal d’où sortaient deux cornes de cerf ; ou le Freischutz avec ses spectres, ou Schinderhannes avec ses bandits.

C’était encore, comme vous voyez, une Forêt-Noire fort peu habitable. Cependant j’y voyais des bûcherons et j’y entendais le bruit des cognées. Cette seconde Forêt-Noire de mes rêves était évidemment située sur un plateau de l’enfer moins éloigné du ciel que la première.