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Elle m’a répondu un mot très long dont je ne me souviens pas assez pour l’écrire.

Je me suis tourné vers les jeunes filles :

— Maria Juana, comment s’appelle votre querido ?

— Je n’en ai pas.

— Et Maria Andrès ?

— Maria Andrès en a un.

La jeune fille dit cela délibérément, sans hésiter, sans paraître surprise de la question ni embarrassée de la réponse.

— Comment s’appelle le querido de Maria Andrès ?

— Oh ! c’est un pêcheur, un pauvre mozzo. Il est très jaloux. Tenez, il est là dans la baie ; on le voit d’ici dans son bateau.

Ici, la vieille a repris la parole :

— Et heureusement il ne vous voit pas, vous autres ! Il serait content s’il voyait Maria Andrès rire et causer avec ce seigneur ! Parler avec un français, doux Jésus ! Mieux vaudrait jaser avec les quatre démons du levant et du couchant, du nord et du midi.

Un soldat a passé ; j’ai fait aux jeunes filles un salut de la main ; elles me l’ont rendu avec le sourire, et j’ai poursuivi mon chemin.


IV


6 août. — 3 heures.

J’entendais un jeune coq chanter dans l’éloignement, et je continuai à marcher. Je suis arrivé ici, par une route très âpre taillée dans le roc pour les chariots à bœufs, jusqu’à un ravin étrangement sauvage. Les rochers qui sortent des bruyères sur la pente escarpée de la montagne figurent presque tous des têtes gigantesques ; il y a des têtes de mort, des profils égyptiens, des silènes barbus qui rient dans l’herbe, de mornes chevaliers au masque sévère. Tout y est jusqu’à Odry, qui ricane sous une perruque de broussailles.

Par la brisure des deux montagnes, à droite, j’aperçois un bras de mer, trois villages, deux ruines, dont un couvent, une admirable vallée, une chaîne de hauts sommets couverts de nuages.

Le village de Leso, qui est le plus près des trois villages, a une belle église gothique d’une masse simple et grande ; on dirait une forteresse. Dieu lui-même habite des citadelles dans ce pays où la guerre ne s’éteint jamais à un coin de l’horizon sans se rallumer à l’autre.