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cesse, et se hèlent d’un bout à l’autre du golfe avec des cris qui ressemblent au chant du coq. Il fait un temps magnifique et le plus beau soleil du monde. J’entends mon matelot qui fredonne, des enfants qui rient, les batelières qui s’appellent, les laveuses qui frappent le linge sur des pierres selon la mode du pays, les chariots à bœufs qui grincent dans les ravins, les chèvres qui bêlent dans la montagne, les marteaux qui résonnent dans le chantier, les câbles qui se déroulent sur les cabestans, le vent qui souffle, la mer qui monte. Tout ce bruit est une musique, car la joie le remplit.

Si je me penche à mon balcon, je vois à mes pieds une étroite terrasse de pierre où l’herbe pousse, un escalier noir qui descend dans la mer et dont la marée escalade les degrés, une vieille ancre enfoncée dans la vase, et un groupe de pêcheurs, hommes et femmes, dans le flot jusqu’aux genoux, qui tirent leurs filets de l’eau en chantant.

Enfin, si vous voulez que je vous dise tout, là, sous mes yeux, sur la terrasse et l’escalier, des constellations de crabes exécutent avec une lenteur solennelle toutes les danses mystérieuses que rêvait Platon.

Le ciel a toutes les nuances du bleu depuis la turquoise jusqu’au saphir, et la baie toutes les nuances du vert depuis l’émeraude jusqu’à la chrysoprase.

Aucune grâce ne manque à cette baie ; quand je regarde l’horizon qui l’enferme, c’est un lac ; quand je regarde la marée qui monte, c’est la mer.

Qu’en dites-vous ? Et à ce sujet, — j’y songe et vous me le rappelez dans votre lettre, — depuis trois semaines que je voyage, j’ai été infidèle à ma manie de vous envoyer le paysage de ma fenêtre. Je répare tout de suite cet oubli. À Bordeaux, ma fenêtre donnait sur un grand mur ; à Bayonne, sur une rue plantée d’arbres ; à Saint-Sébastien, sur une vieille femme qui tuait ses puces. Vous voilà satisfait. Je reviens en hâte à Pasages.

La maison que j’habite est à la fois une des plus solennelles qui regardent la rue, et une des plus gaies qui regardent le golfe. Au-dessus du toit, je vois dans les rochers des escaliers qui grimpent à travers des touffes de verdure jusqu’à la vieille église blanche, laquelle semble une génisse de plus agitant sa cloche à son cou dans la montagne. Car, dans les églises du Guipuzcoa, on voit à nu la cloche suspendue au bord du toit de l’église sous une espèce d’arcade qui ressemble à un collier.

La maison où je suis a deux étages et deux entrées. Elle est curieuse et rare entre toutes, et porte au plus haut degré le double caractère si original des maisons de Pasages. C’est le monumental rapiécé avec le rustique. C’est une cabane mêlée et soudée à un palais.

La première entrée est un portail à colonnes du temps de Philippe II, sculpté par les ravissants artistes de la renaissance, mutilé par le temps et les