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à regagner Bayonne. J’étais las, et je ne pensais pas sans quelque plaisir à l’excellente voiture et au vertueux cocher qui m’avaient amené. Huit heures sonnaient aux lointaines horloges de la plaine comme je remontais l’escarpement du port-vieux. Je ne pris pas garde à une foule de promeneurs qui accouraient de tous les points et semblaient se hâter vers l’entrée du village où s’arrêtent les voituriers.

La soirée était superbe ; quelques étoiles commençaient à piquer le ciel clair du crépuscule ; la mer, à peine émue, avait le miroitement opaque et lourd d’une immense nappe d’huile.

Un phare à feu tournant venait de s’allumer à ma droite sur un cap voisin ; il brillait, puis s’éteignait, puis se ravivait tout à coup et jetait brusquement une éclatante lumière, comme s’il cherchait à lutter avec l’éternel Sirius qui resplendissait dans la brume à l’autre bout de l’horizon. Je m’arrêtai, et je considérai quelque temps ce mélancolique spectacle, qui était pour moi comme la figure de l’effort humain en présence du pouvoir divin.

Cependant la nuit s’épaississait, et, à un certain moment, l’idée de Bayonne et de mon auberge traversa subitement ma contemplation. Je me remis en marche et j’atteignis la place des voitures. Il n’y en avait plus qu’une seule ; un falot posé à terre me la montra. C’était une calèche à quatre places ; trois places étaient déjà occupées. Comme j’approchais :

— Hé, monsieur, venez donc, me cria une voix, c’est la dernière place, et nous sommes la dernière voiture.

Je reconnus la voix de mon cocher du matin. Je retrouvais cet homme antique. Le hasard me parut providentiel. Je louai Dieu. Un moment plus tard, j’étais forcé de faire la route à pied, une bonne lieue de pays.

— Pardieu, lui dis-je, vous êtes un brave cocher, et je suis aise de vous revoir.

— Montez vite, monsieur, reprit l’homme.

Je m’installai en hâte dans la calèche.

Quand je fus assis, le cocher, la main sur la clef de la portière, me dit :

— Monsieur sait que l’heure est passée ?

— Quelle heure ? lui dis-je.

— Huit heures.

— C’est vrai, j’ai entendu sonner quelque chose comme cela.

— Monsieur sait, repartit l’homme, que passé huit heures du soir le prix change. Nous venons chercher ici les voyageurs pour les obliger. L’usage est de payer avant de partir.

— À merveille, répondis-je en tirant ma bourse. Combien est-ce ?

L’homme reprit avec douceur :

— Monsieur, c’est douze francs.