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veux pas approfondir ces harmonies, mais le fait est que sur l’impériale de la diligence de Meaux j’en avais rencontré un, et que sur l’impériale de la diligence de Bayonne j’en ai trouvé deux. Ils voyageaient ensemble, et, ce qui rendait l’accouplement curieux, c’est que l’un était bossu par derrière et l’autre par devant. Le premier paraissait exercer je ne sais quel ascendant sur le second, qui avait son gilet entr’ouvert et débraillé, et au moment où j’arrivai, il lui dit avec autorité : Mon cher, boutonnez votre difformité.

Le conducteur de la voiture regardait les deux bossus d’un air humilié. Ce brave homme ressemblait parfaitement à M. de Rambuteau. En le contemplant, je me disais qu’il suffirait peut-être de le raser pour en faire un préfet de la Seine, et qu’il suffirait aussi que M. de Rambuteau ne se rasât plus pour faire un excellent conducteur de diligences.

L’assimilation, comme on dit aujourd’hui dans la langue politique, n’a du reste rien de fâcheux ni de blessant. Une diligence, c’est bien plus qu’une préfecture ; c’est l’image parfaite d’une nation avec sa constitution et son gouvernement. La diligence a trois compartiments comme l’état. L’aristocratie est dans le coupé ; la bourgeoisie est dans l’intérieur ; le peuple est dans la rotonde. Sur l’impériale, au-dessus de tous, sont les rêveurs, les artistes, les gens déclassés. Le roi, c’est le conducteur, qu’on traite volontiers de tyran ; le ministère, c’est le postillon qu’on change à chaque relais. Quand la voiture est trop chargée de bagages, c’est-à-dire quand la société met les intérêts matériels par-dessus tout, elle court risque de verser.

Puisque nous sommes en train de rajeunir les métaphores antiques, je conseille aux dignes lettrés qui embourbent si souvent dans leur style le char de l’état de dire désormais la diligence de l’état. Ce sera moins noble, mais plus exact.

Du reste la route était fort belle et l’on allait grand train. Cela tient à une lutte qu’il y a en ce moment entre la diligence Dotézac et une autre voiture que les postillons Dotézac appellent dédaigneusement la concurrence, sans la désigner autrement. Cette voiture m’a paru bonne ; elle est neuve, coquette et jolie. De temps en temps elle nous passait, et alors elle trottait une heure ou deux devant nous à vingt pas, jusqu’à ce que nous lui rendissions la pareille. C’était fort désagréable. Dans les anciens combats classiques, on faisait « mordre la poussière » à son ennemi ; dans ceux-ci, on se contente de la lui faire avaler.

Les Landes, de Bazas à Mont-de-Marsan, ne sont autre chose qu’une interminable forêt de pins, semée çà et là de grands chênes, et coupée d’immenses clairières que couvrent à perte de vue les landes vertes, les genêts jaunes et les bruyères violettes. La présence de l’homme se révèle dans les