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il n’y a pas seulement le fils insignifiant de Louis XV, il y a Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, c’est-à-dire la race de saint-Louis éteinte et résumée en trois rois, le roi décapité, le roi exilé et le roi chassé. La grande branche royale née de Louis IX sort de cet autel et finit sous ce tombeau. Entre le tombeau et l’autel, il y a quatre pas et six siècles.

Après avoir vu cet autel et ce sépulcre, cet alpha et cet oméga, on entre dans le trésor, et l’impression est complète quand on a lu sur la superbe tapisserie de Charles de Bourbon le vieux cri d’armes de sa maison : Ni espoir ni peur ; devise qui oublie Dieu et qui semble faite pour une famille morte.

En 93, le monument de Coustou disparut ; on le cacha, pour le sauver, sous un hangar de l’archevêché. Les bêtes fauves déchaînées alors, à défaut des statues de Coustou, violèrent les ossements du dauphin et de la dauphine. Les deux cercueils fleurdelysés furent ouverts et vidés dans le cimetière commun. Mais dans les époques violentes il y a toujours de ces piétés hardies qui espionnent le crime et qui le suivent partout. Des mains fidèles marquèrent religieusement la place où gisaient les deux squelettes royaux, et en 1814, quand Louis XVIII rentra dans son Louvre, le dauphin son père rentra dans son tombeau. Cette restauration a eu meilleure fin que l’autre ; et quand on considère les pas que les esprits font chaque jour vers la pensée et vers la raison, on peut dire hardiment que désormais aucune révolution ne dérangera les quatre fantômes de marbre qui pleurent sur la maison de Bourbon devant le maître-autel de Sens.

Il faut le dire ici, Charles X, en 1825, eut une idée touchante et qui eût été digne d’un roi penseur. Il fit faire un service solennel au grand dauphin, et il envoya son manteau du sacre pour couvrir le cercueil de son père. Avant que l’exil lui arrachât ce manteau, il l’avait donné à la mort.

J’ai indiqué plus haut que ce pallium royal est conservé dans le trésor ; il est en velours violet, fleurdelysé, avec des abeilles brodées çà et là dans les fleurs de lys. Ce n’est pas sans tristesse que je le regardais accroché au panneau d’une vieille armoire dans cette cathédrale de Sens ; je l’avais vu le 29 mai 1825, dans la cathédrale de Reims, sur les épaules du roi de France. Tout se mêlait à mon émotion, le vent d’automne, le jour brumeux, la pluie d’octobre qui battait la froide vitre blanche de la chambre du trésor, et le souvenir de la magnifique journée du sacre, de cette éblouissante matinée de printemps, de cet admirable soleil de mai qui pénétrait la grande rose de Reims et qui la faisait resplendir au-dessus de nos têtes à travers des nuages d’encens comme la roue de flamme du char d’Élie.

Où tout cela est-il maintenant ?

Cette cathédrale de Sens est ainsi d’un bout à l’autre. C’est de l’art com-