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la seine.


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21 octobre.

Val-Suzon, charmant et sauvage, rappelle le Jura. — Plateau de Langres, grande plaine nue. — Saint-Seine, joli bourg entre deux collines vertes. Église du quinzième siècle avec abside carrée à rosace, chose rare.

Deux lieues plus loin, on traverse un autre village au bas d’une autre vallée. Ce village s’appelle Coursault. Une assez grande maison délabrée, posée en travers au fond du ravin, borde la route. Sous cette maison est percée une chétive arche de pierre qui livre passage à un petit ruisseau. Ce ruisseau, c’est la Seine. Elle prend sa source à un quart de lieue de là dans la colline. À Coursault, elle rencontre son premier pont, cette arche sous cette masure. Les enfants l’enjambent. Un buisson la cache. À peine distingue-t-on, entre deux pentes vertes, dans l’ombre de trois ou quatre peupliers, ce maigre filet d’eau qui aura deux lieues de large à Quillebœuf. Six lieues après Coursault, à Aizay-le-Duc, on trouve le second pont. Le ruisseau est déjà une rivière, et l’on sent que cette rivière sera un fleuve.

Le second pont a quatre arches. Le courant a douze pieds de profondeur. Jamais les moulins n’y manquent d’eau. Un petit fleuve, comme un petit chêne, a tout de suite quelque chose de robuste.




Parlons un peu de Jean.

Jean est le factotum de la diligence de Dijon à Châtillon-sur-Seine, qu’on prend rue du Château, à la Clef de France. Jean cumule ; il est tout à la fois cocher, postillon et conducteur. C’est un robuste gaillard d’une trentaine d’années, chaussé de sabots et coiffé d’un chapeau galonné, paysan par les pieds et laquais par la tête, buvant à tous les bouchons, empilant volontiers, si le hasard de la route les lui donne, six ou sept voyageurs de contrebande sous la bâche de l’impériale, haïssant les gendarmes, abhorrant les gabelous, bon diable d’ailleurs. Il pousse son attelage, il parle, il jure, il improvise. Il ne manque pas de quelque imagination ; il compare les arbres qu’il vous montre au bout de l’horizon à des gens qui se querellent ou à des conscrits en marche le sac sur le dos. Il désigne les chevaux qu’il mène par les noms des maîtres de poste. — Ah ! ah ! monsieur, les Bossu ne valent pas les