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récemment une forêt de mélèzes qui est à une demi-lieue du sommet, y a pratiqué une route carrossable, et à cette heure la commandite tond le géant. — En outre, un guide m’a affirmé à Küssnacht qu’en 1814 un chasseur de chamois, nommé Ignatius Matt, était entré dans la caverne avec des échelles et des cordes, et, au péril de sa vie, il est vrai, avait hardiment abordé la sombre sentinelle de pierre.

Je dois dire qu’une des vieilles femmes du cimetière, qui écoutait l’histoire du guide, a protesté énergiquement, déclarant qu’Ignatius Matt n’était qu’un fat, qu’il s’était vanté d’une bonne fortune impossible et que la statue du Dominick loch était encore vierge. — En cette matière, je crois les vieilles femmes.

J’ai fait les trois lieues de Küssnacht à Lucerne en une heure et demie au grand trot. Je n’en suis pas moins arrivé à Lucerne à la nuit close. Mais la promenade des bords du golfe de Küssnacht au crépuscule est admirable.

En quittant Küssnacht, j’avais les yeux encore fixés sur la ruine de Gessler que déjà j’en rencontrais une autre. C’est le donjon de Neu-Habsburg, autre nid d’aigles tombé à mi-côte dans les bruyères. Je voyais de la route un grand pan de muraille qui, comme une tête renversée dont les cheveux pendent en arrière, laissait tremper le bout de ses lierres dans l’eau du golfe. En face de moi les pentes vertes de la Zinne se réfléchissaient avec leur réseau brouillé d’arbres et de cultures dans le miroir du lac déjà sombre et lui donnaient l’aspect d’une agate herborisée. Au pied du Rigi, je ne sais quel reflet renvoyait à l’eau une clarté blanche ; une petite barque qui courait à côté dans une flaque obscure s’y doublait en se reflétant et y figurait une longue épée ; la barque faisait la poignée, le batelier, la garde, et le sillage étincelant, la lame fine, longue et nue.


11 septembre, 4 heures après-midi.

Excepté l’arsenal et l’hôtel de ville, j’ai déjà tout vu à Lucerne.

La ville est bien faite, assise sur deux collines qui se regardent, coupée en deux par la Reuss qui entre dans le lac à Fluelen et qui en sort violemment à Lucerne, murée d’une enceinte du quatorzième siècle, dont toutes les tours sont différentes comme à Bâle, ce qui est une fantaisie propre à l’architecture militaire germanique, pleine de fontaines presque toutes curieuses et de maisons à volutes, à tourelles et à pignons, en général bien conservées. La verdure extérieure déborde par-dessus les créneaux.