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LE RHIN.

Au-dessus des grands toits du palais apparaît une haute et massive tour carrée en briques. Cette tour, qui était jadis le beffroi du prince-évêque, est maintenant la prison des filles publiques ; triste et froide antithèse que le bourgeois voltairien d’il y a trente ans eût faite spirituellement, que le bourgeois utilitaire et positif d’à présent fait bêtement.

En sortant du palais par la grande porte, j’en ai pu contempler la façade actuelle, œuvre glaciale et déclamatoire du désastreux architecte de 1748. On croirait voir une tragédie de Lagrange-Chancel, en marbre et en pierre. Il y avait sur la place devant cette façade un brave homme qui voulait absolument me la faire admirer. Je lui ai tourné le dos sans pitié, quoiqu’il m’ait appris que Liège s’appelle en hollandais Luik, en allemand Lüttich, et en latin Leodium.

La chambre où je logeais à Liège était ornée de rideaux de mousseline sur lesquels étaient brodés, non des bouquets, mais des melons. J’y ai admiré aussi des gravures triomphantes figurant, à l’honneur des alliés, nos désastres de 1814, et nous humiliant cruellement dans notre langue. — Voici textuellement la légende imprimée au bas d’une de ces images : « bataille d’arcis-sur-aube, le 21 mars 1814. La plus part de la garnison de cette place, composée de la garde ancienne (probablement la vieille garde) fit fait prisonniers, et les alliés entrèrent vainquereuse à Paris le 2 avril. »