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REVUE DE LA CRITIQUE.
Le Siècle.
Hippolyte Lucas.

L’apparition d’un nouveau livre de M. Victor Hugo est naturellement de tout temps un événement ; mais cette fois-ci il y a encore un intérêt de plus, et il est tout simple que la France et l’Allemagne s’émeuvent particulièrement de son dernier livre, le Rhin. La question littéraire se complique de la question politique.

Tout le monde a dans ce moment les yeux fixés sur le Rhin. Quelle fortune de faire un pareil voyage avec un tel compagnon de route ! Voir le beau pays dans cette belle phrase si simple que tout y vient sans gêne, et si précise qu’elle prend la forme même des choses, c’est le voir avec les yeux. On a la chose même, et l’on a l’interprétation du poète à côté. On voyage en même temps dans cette grande nature et dans ce grand esprit.

Ce beau livre, qui touche à toutes les racines des questions européennes, s’ouvre doucement par une causerie amicale. Il commence comme une source et finit comme une mer. Il y a de tout dans ce livre : les auberges, les églises, le spectacle du ciel, et d’admirables légendes comme le beau Pécopin qui est tout un roman. L’illustre écrivain questionne le passé dans les ruines et le présent dans les mœurs, pour tâcher de leur arracher la formule de l’avenir.

On arrive ainsi à cette magnifique Conclusion où aboutissent et concourent tous les détails du livre, et qui prouvera à ceux qui l’ignorent comment M. Hugo est un admirable homme de pratique, et que le grand poète est doublé d’un grand penseur. Les faits s’y élargissent aux proportions des idées. La politique, quand c’est un pareil esprit qui la fait, n’est plus de la politique, c’est de l’histoire.

La Preße.
Un inconnu (Eugène Pelletan).

Ce livre est un poétique traité d’alliance entre la France et l’Allemagne ; ce sont, fond et forme, les fiançailles des deux génies que l’auteur s’est proposées.

… Ce serait s’exposer à ne pas comprendre le livre de M. Victor Hugo que de lui demander autre chose, plus ou moins, qu’il n’a voulu y mettre. Ce sont des Lettres à un ami, de pures et simples émotions de voyage, orchestration infinie de tous les sons qu’il reçoit et renvoie en passant. Quelquefois la rêverie, d’autres fois l’érudition, le jeu de mots ; la mélancolie, et jusqu’au million de pensées que la vue d’un brin d’herbe, cet assistant de Dieu comme nous, peut éveiller en notre âme.

… Mais tableaux de voyages, réflexions jetées en passant, ne servent que de préambule au travail politique et sérieux que l’auteur a voulu écrire. C’est l’immense, la terrible question du présent et de l’avenir de l’Europe que l’auteur décrit et prophétise, l’histoire à la main…

Par la comparaison de l’Espagne et de la Turquie, si puissantes il y a deux siècles, M. Victor Hugo démontre admirablement que toute politique qui ne repose que sur l’idée de conquête, d’extension territoriale, est, tôt ou tard, mais fatalement, condamnée à la déchéance.

… La France a des alliées invincibles ; ce sont ses idées. Elles travaillent pour nous, elles remportent des victoires mystérieuses, elles accumulent des conquêtes que nous ne saurions perdre. Pour nous, qui avons traversé des âges de révolution, qui sommes sortis régénérés de nos crises, le temps ne peut amener que de nouvelles forces. Il faudra bien qu’un jour, bon gré mal gré, les États de l’Europe comptent avec l’esprit du siècle, qu’ils suivent la route que nous avons suivie. Les gouvernements libres n’ont pas seulement l’avantage d’être des représentations théâtrales de tribune, et de faire d’énormes dépenses de paroles. Mieux que tous les autres, ils répandent le bien-être autour d’eux, et pratiquent une plus juste répartition des charges et des avantages de la société. La contagion de notre exemple ne peut manquer de gagner les autres peuples, lorsque l’heure sera venue, lorsqu’ils auront l’intelligence nécessaire pour commencer leurs révolutions, et celle non moins nécessaire pour les finir. De ce moment, la France se retrouvera, au milieu de la décomposition des pouvoirs, l’arbitre impartiale et pacifique du monde…

Revue des Deux-Mondes.
Lerminier.

… En suivant encore une fois le cours du Rhin, flumina nota, sous la conduite de M. Victor Hugo, nous avons pu reconnaître que