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HISTORIQUE DU RHIN.

envoyé d’Andernach une partie ; mais c’est au retour qu’on est le mieux placé pour jeter ce coup d’œil d’ensemble où l’impression se condense et se résume ; c’est donc à Paris qu’il écrit la seconde lettre sur le Rhin, par laquelle il clora cette première édition.

La nature, l’histoire, la politique même avaient leur place dans le Rhin ; un livre de Victor Hugo eût-il été complet, si l’imagination n’y avait eu la sienne ? Au lieu de reproduire quelque légende populaire des bords du Rhin, le poète aima mieux en inventer une et il nous donne celle du Beau Pécopin, ce merveilleux conte, allemand et français à la fois, enjoué et moqueur à la surface, avec des dessous profonds et mélancoliques.

En y ajoutant ces richesses, Victor Hugo apportait aux lettres, dans la forme, peu ou point de changements. Un seul est essentiel et veut être expliqué. Le Rhin a pour sous-titre : Lettres à un ami. La vérité est cependant que les lettres envoyées pendant le voyage furent adressées toutes à Mme Victor Hugo. Pourquoi cette fiction ? elle était, dans ce temps-là, nécessaire. Ces lettres, écrites du ton le plus familier, fourmillaient de détails intimes. Or l’esthétique épistolaire d’alors exigeait plus de tenue et n’eût pas admis le laisser aller de ces épanchements familiaux. Victor Hugo est obligé déjà de s’excuser dans sa Préface de n’avoir pas « effacé partout l’intimité et le sourire », et, malgré les suppressions, Cuvillier-Fleury lui reprocha encore, dans les Débats, ce qu’il appelle son déshabillé. Ainsi s’imposait cette supposition classique d’un « ami », correspondant impersonnel et neutre.

Disons d’ailleurs en passant qu’une raison d’ordre matériel eût bien empêché Victor Hugo d’adresser réellement à un ami cette longue correspondance. Il faut rappeler qu’en 1840 la taxe des lettres n’était pas uniforme et variait, non seulement selon le poids, mais selon la distance ; une lettre simple pour Marseille coûtait dans les deux francs, et l’on n’affranchissait pas les lettres ; qui les recevait, payait. La totalité des lettres du Rhin, expédiées pour la plupart de l’étranger, dut au bas mot dépasser trois cents francs, somme qui en représenterait le triple aujourd’hui. C’était là une charge qu’on ne pouvait imposer à un tiers ; Victor Hugo, en partant, laissait à sa femme l’argent nécessaire pour payer les ports de lettres.

Le livre était fait. Le Rhin parut en deux volumes, dans la première édition originale, le 28 janvier 1842.

En avril 1845, il y eut une édition nouvelle qui peut aussi passer pour une édition originale. Celle-ci, en effet, forme quatre volumes et contient quatorze lettres nouvelles.

Trois ans s’étaient passés, la question brûlante de la rive gauche s’était refroidie dans cet engourdissement qui s’appelle le statu quo. L’intérêt du Rhin était maintenant tout entier dans le Voyage ; il importait de le compléter.

La première édition n’avait donné que le Rhin entre Cologne et Mayence ; la seconde y ajouta le Rhin supérieur, le Rhin entre Mayence et Schaffhouse, c’est-à-dire le premier voyage de Victor Hugo, le voyage de 1839, qui avait commencé par Strasbourg. — Mais un trouble pouvait ici se produire dans l’esprit du lecteur. Le voyageur, remontant le Rhin, aurait dû commencer, non par Strasbourg, mais par Cologne ; en d’autres termes, le premier voyage aurait dû suivre et non précéder le second. L’auteur, pour simplifier, crut pouvoir sans inconvénient substituer l’ordre logique à l’ordre chronologique ; sans toucher aux lettres manuscrites, qui devaient garder leur sincérité, il antidata dans le livre les lettres de 1840 et les mit simplement à la suite des trois lettres de 1838. Les deux parties du voyage, sous