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CONCLUSION.

Tout à l’heure nous indiquions quelques traits du clergé espagnol. En Angleterre aussi il y a un archevêque de Tolède ; il s’appelle l’archevêque de Cantorbéry.

Si l’on descend jusqu’aux moindres particularités, on voit que, pour ces petits détails impérieux de vie intérieure et matérielle qui sont comme la seconde nature des populations, les deux peuples, chose singulière, sont de la même façon tributaires de l’océan. Le thé est pour l’Angleterre ce qu’était pour l’Espagne le cacao, l’habitude de la nation ; et par conséquent, selon la conjoncture, une occasion d’alliance ou un cas de guerre.

Passons à un autre ordre d’idées.

Il y a eu et il y a encore chez certains peuples un dogme affreux, contraire au sentiment intérieur de la conscience humaine, contraire à la raison publique qui fait la vie même des états. C’est cette fatale aberration religieuse, érigée en loi dans quelques pays, qui établit en principe et qui croit qu’en brûlant le corps on sauve l’âme, que les tortures de ce monde préservent une créature humaine des tortures de l’autre, que le ciel s’achète par la souffrance physique, et que Dieu n’est qu’un grand bourreau souriant, du haut de l’éternité de son enfer, à tous les hideux petits supplices que l’homme peut inventer. Si jamais dogme fut contraire au développement de la sociabilité humaine, c’est celui-là. C’est lui qui s’attelle à l’horrible chariot de Jaghernaut ; c’est lui qui présidait il y a un siècle aux exterminations annuelles de Dahomey. Quiconque sent et raisonne le repousse avec horreur. Les religions de l’orient l’ont vainement transmis aux religions de l’occident. Aucune philosophie ne l’a adopté. Depuis trois mille ans, sans attirer un seul penseur, la pâle clarté de ces doctrines sépulcrales rougit vaguement le bas du porche monstrueux des théogonies de l’Inde, sombre et gigantesque édifice qui se perd, à demi entrevu par l’humanité terrifiée, dans les ténèbres sans fond du mystère infini.

Cette doctrine a allumé en Europe au seizième siècle les bûchers des juifs et des hérétiques ; l’inquisition les dressait, l’Espagne les attisait. Cette doctrine allume encore de nos jours en Asie le bûcher des veuves ; l’Angleterre ne le dresse ni ne l’attise, mais elle le regarde brûler.

Nous ne voulons pas tirer de ces rapprochements plus qu’ils ne contiennent. Il nous est impossible pourtant de ne pas remarquer qu’un peuple qui serait pleinement dans la voie de la civilisation ne pourrait tolérer, même par politique, ces lugubres, atroces et infâmes sottises. La France, au seizième siècle, a rejeté l’inquisition. Au dix-neuvième siècle, si l’Inde était colonie française, la France eût depuis longtemps éteint le suttee.

Puisque, en notant çà et là les points de contact inaperçus, mais réels, de l’Espagne et de l’Angleterre, nous avons parlé de la France, observons qu’on en retrouve jusque dans les événements en apparence purement accidentels. L’Espagne avait eu la captivité de François Ier ; l’Angleterre a partagé cette gloire ou cette honte. Elle a eu la captivité de Napoléon.

Il est des choses caractéristiques et mémorables qui reviennent et se répètent, pour l’enseignement des esprits attentifs, dans les échos profonds de l’histoire. Le mot de Waterloo : La garde meurt et ne se rend pas, n’est que l’héroïque traduction du mot de Pavie : Tout est perdu, fors l’honneur. Enfin, outre les rapprochements directs,