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ZURICH.



LETTRE XXXIV.
Zurich.


L’auteur entend un tapage nocturne, se penche et reconnaît que c’est une révolution. — Sérénité de la nuit. — Vénus. — Choses violentes mêlées aux petites choses. — Enceinte murale de Bâle. — Quel succès les bâlois obtiennent dans le redoutable fossé de leur ville. — Familiarités hardies de l’auteur avec une gargouille. — Les portes de Bâle. — L’armée de Bâle. — Une fontaine en mauvais lieu. — Route de Bâle à Zurich. — Creutznach. — Augst. — L’Ergolz. — Warmbach. — Rhinfelden. — Une fontaine en bon lieu. — L’auteur prend place parmi les chimistes.


8 septembre.

Je suis à Zurich. Quatre heures du matin viennent de sonner au beffroi de la ville, avec accompagnement de trompettes. J’ai cru entendre la diane, j’ai ouvert ma fenêtre. Il fait nuit noire et personne ne dort. La ville de Zurich bourdonne comme une ruche irritée. Les ponts de bois tremblent sous les pas mesurés des bataillons qui passent confusément dans l’ombre. On entend le tambour dans les collines. Des Marseillaises alpestres se chantent devant les tavernes allumées au coin des rues. Des bisets zurichois font l’exercice dans une petite place voisine de l’hôtel de l’Épée, que j’habite, et j’entends les commandements en français : Portez arme ! Arme bras ! — De la chambre à côté de la mienne une jeune fille leur répond par un chant tendre, héroïque et monotone, dont l’air m’explique les paroles. Il y a une lucarne éclairée dans le beffroi et une autre dans les hautes flèches de la cathédrale. La lueur de ma chandelle illumine vaguement un grand drapeau blanc étoilé de zones bleues, qui est accroché au quai. On entend des éclats de rire, des cris, des bruits de portes qui se ferment, des cliquetis bizarres. Des ombres passent et repassent partout. Une joyeuse rumeur de guerre tient ce petit peuple éveillé. Cependant, sous le reflet des étoiles, le lac vient majestueusement murmurer jusqu’auprès de ma fenêtre toutes ces paroles de tranquillité, d’indulgence et de paix que la nature dit à l’homme. Je regarde se décomposer et se recomposer sur les vagues les sombres moires de la nuit. Un coq chante, et là-haut, là-haut à ma gauche, au-dessus de la cathédrale, entre les deux clochers noirs, Vénus étincelle comme la pointe d’une lance entre deux créneaux.

C’est qu’il y a une révolution à Zurich. Les petites villes veulent faire