Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
LE RHIN.

qu’à des notes littéraires du genre de celle-ci, que j’ai copiée textuellement, à l’époque où j’y passai, dans je ne sais plus quel petit livre local étalé sur la table de l’auberge :

« Dammartin (Seine-et-Marne), petite ville sur une colline. On y fabrique de la dentelle. Hôtel : Sainte-Anne. Curiosités : l’église paroissiale, la halle, 1 600 habitants. »

Le peu de temps accordé pour dîner par ce tyran des diligences appelé le « conducteur » ne me permit pas alors de vérifier jusqu’à quel point il était vrai que les seize cents habitants de Dammartin fussent tous des curiosités.

J’ai donc pris par Meaux.

Entre Claye et Meaux, par le plus beau temps et le plus beau chemin du monde, la roue de mon cabriolet a cassé. Vous savez que je suis de ces hommes qui continuent leur route ; le cabriolet renonçait à moi, j’ai renoncé au cabriolet. Justement une petite diligence passait, la diligence Touchard. Elle n’avait plus qu’une place vacante, je l’ai prise ; et, dix minutes après l’accident, je « continuais ma route », juché sur l’impériale entre un bossu et un gendarme.

Me voici en ce moment à la Ferté-sous-Jouarre, jolie petite ville que je revois pour la quatrième fois bien volontiers avec ses trois ponts, ses charmantes îles, son vieux moulin au milieu de la rivière qui se rattache à la terre par cinq arches, et son beau pavillon du temps de Louis XIII, qui a appartenu, dit-on, au duc de Saint-Simon, et qui aujourd’hui se déforme entre les mains d’un épicier.

Si en effet M. de Saint-Simon a possédé ce vieux logis, je doute que son manoir natal de la Ferté-Vidame eût une mine plus seigneuriale et plus fière, et fût mieux fait pour encadrer sa hautaine figure de duc et pair, que le charmant et sévère châtelet de la Ferté-sous-Jouarre.

Le moment est parfait pour voyager. Les campagnes sont pleines de travailleurs. On achève la moisson. On bâtit çà et là de grandes meules qui ressemblent, quand elles sont à moitié faites, à ces pyramides éventrées qu’on rencontre en Syrie. Les blés coupés sont rangés à terre sur le flanc des collines de façon à imiter le dos des zèbres.

Vous le savez, mon ami, ce ne sont pas les événements que je cherche en voyage, ce sont les idées et les sensations ; et, pour cela, la nouveauté des objets suffit. D’ailleurs, je me contente de peu. Pourvu que j’aie des arbres, de l’herbe, de l’air, de la route devant moi et de la route derrière moi, tout me va. Si le pays est plat, j’aime les larges horizons. Si le pays est montueux, j’aime les paysages inattendus, et au haut de chaque côte il y en a un. Tout à l’heure je voyais une charmante vallée. À droite et à gauche, de beaux caprices de terrain, de grandes collines coupées par les cultures, et