Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
304
LE RHIN

Kiffhœüser, dit la légende de Wurtemberg ; dans la grotte de Kaiserslautern, dit la légende du Rhin.

Les neuf césars couchés sous les dalles de l’abside de Spire étaient presque tous de glorieux empereurs. C’était le fondateur de la cathédrale, le contemporain de Canut le Grand, Conrad II, celui qui divisa la vieille Teutonie en six classes, dites Boucliers militaires, Clypei militares, hiérarchie que bouleversa la Bulle d’or, mais que la Pologne adopta et refléta ; si bien que, même dans ces derniers siècles, la constitution républicaine de la Pologne, reproduisant la vieille constitution féodale de l’Allemagne, était comme un miroir qui garderait l’image après que l’objet aurait disparu. C’étaient Henri III, qui proclama et maintint trois ans la paix universelle, préférant à une guerre de peuple à peuple ce duel de roi à roi qu’il offrait à Henri Ier de France ; puis Henri IV, le vainqueur des saxons et le vaincu de Grégoire VII ; Henri V, l’allié de Venise ; Conrad III, l’ami des diètes, qui se qualifiait empereur des romains ; Philippe de Souabe, le redoutable adversaire d’Innocent III. C’était le triomphateur d’Ottocar, l’exterminateur des burgraves, le fondateur de dynasties, le comte père des empereurs, Rodolphe de Habsbourg. C’était Adolphe de Nassau, le vaillant homme tué d’un coup de hache sur le champ de bataille. C’était enfin son ennemi, son compétiteur, son meurtrier, Albert d’Autriche, qui se faisait servir à table par le roi de Bohême, la couronne en tête, qui supprimait les péages, et domptait, la châtaigne de fer au poing, les quatre formidables électeurs du Rhin ; prince démesuré en tout, dans son ambition comme dans sa puissance, auquel Boniface VIII donnait un matin le royaume de France ; si bien que, devant un pareil présent, on ne sait qui l’on doit admirer le plus, du pape qui avait l’audace d’offrir ou de l’empereur qui avait l’audace d’accepter.

Hélas ! quoi de plus pareil à des rêves que ces grandeurs ? et comme elles se ressemblent toutes par les misères qui sont au bout ! Albert d’Autriche, à Gellheim, près Mayence, avait tué de sa main son cousin et son empereur, Adolphe de Nassau ; dix ans plus tard Jean de Habsbourg tue, à Vindich-sur-la-Reuss, son oncle et son empereur Albert d’Autriche. Albert qui était borgne et laid, et conseillé, disait Boniface VIII, par une femme au sang de vipère, sanguine viperali, avait été surnommé le Régicide ; Jean fut surnommé le Parricide.

Quoi qu’il en soit, tous ces princes, les bons, les médiocres et les mauvais, enterrés côte à côte, confondaient, pour ainsi dire, la diversité de leurs destinées dans la gloire des armes, propre à quelques-uns, et dans la splendeur de l’empire, commune à tous, et gisaient dans le caveau de Spire, enveloppés de la mystérieuse majesté de la mort. Pour toute l’Alle-