Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
LE RHIN.

Il se trouvait seul, debout sur le sol, l’épée à la main, dans un ravin obstrué de bruyères, à quelques pas d’une eau qui écumait dans les rochers, à la porte d’un vieux château. Le jour naissait. Il leva les yeux et poussa un cri de joie. Ce château, c’était le Falkenburg.


XV

où l’on voit quelle est la figure de rhétorique
dont le bon dieu use le plus volontiers.

Le coq chanta une seconde fois. Son chant partait de la basse-cour du château. Ce coq, dont la voix venait de faire écrouler autour de Pécopin le palais plein de vertiges des chasseurs nocturnes, avait peut-être cette nuit même becqueté les miettes qui tombaient chaque soir des mains bénies de Bauldour.

Ô puissance de l’amour ! force généreuse du cœur ! chaud rayonnement des belles passions et des belles années ! À peine Pécopin eut-il revu ces tours bien-aimées, que la fraîche et éblouissante image de sa fiancée lui apparut et le remplit de lumière, et qu’il sentit se dissoudre en lui comme une fumée toutes les misères du passé, et les ambassades, et les rois, et les voyages, et les spectres, et l’effrayant gouffre de visions dont il sortait.

Certes, ce n’est pas ainsi, avec la tête haute et le regard enflammé, que le prêtre couronné dont parle le Speculum historiale émergea du milieu des fantômes après qu’il eut visité le sombre et splendide intérieur du dragon d’airain. Et, puisque cette figure redoutable vient d’apparaître à celui qui raconte ces histoires, il convient de lui jeter une malédiction, et d’imposer ici un stigmate à ce faux sage qui avait deux faces, tournées l’une vers la clarté, l’autre vers l’ombre, et qui était à la fois pour Dieu le pape Sylvestre II et pour le diable le magicien Gerbert.

Vis-à-vis les traîtres et les personnages doubles, la haine est devoir. Tout parisien doit, en passant, une pierre à Périnet Leclerc, tout espagnol au comte Julien, tout chrétien à Judas, et tout homme à Satan.

Du reste, ne l’oublions pas, Dieu met invariablement le jour à côté de la nuit, le bien auprès du mal, l’ange en face du démon. L’enseignement austère de la providence résulte de cette éternelle et sublime antithèse. Il semble que Dieu dise sans cesse : Choisissez. Au onzième siècle, en regard du prêtre cabaliste Gerbert il plaça le chaste et savant Emuldus. Le magicien fut pape, le saint docteur fut médecin. En sorte que les hommes purent voir sous le même ciel, parmi les mêmes événements et à la même époque,