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LÉGENDE DU BEAU PÉCOPIN.

et l’aiguière à la main. Chaque convive avait, comme il convient, son nain à côté de lui. Madame Diane avait son lévrier.

En regardant attentivement dans les profondeurs les plus brumeuses de ce lieu extraordinaire, Pécopin vit que dans l’immensité peut-être sans fond de la salle, sous la forêt de colonnes, il y avait une multitude de spectateurs, tous à cheval comme lui, tous en habit de chasse ; ombres par l’obscurité, statues par l’immobilité, spectres par le silence. Parmi les plus rapprochés, il crut reconnaître les cavaliers qui accompagnaient le vieux chasseur dans le bois des pas perdus. Comme je viens de le dire, convives, valets, assistants, gardaient un silence effrayant, et, plutôt que d’entendre un souffle sortir de cette foule, on eût entendu chuchoter les pierres d’un tombeau.

Il faisait très froid dans ces ténèbres. Pécopin était glacé jusque dans les os ; cependant il sentait la sueur ruisseler de tous ses membres.

Tout à coup des jappements retentirent, d’abord lointains, bientôt violents, joyeux et sauvages ; puis le cor du vieux chasseur s’y mêla brusquement et se mit à exécuter, avec une splendeur triomphale, un admirable hallali, parfaitement étrange et nouveau, qui, retrouvé plusieurs siècles plus tard par Roland de Lattre dans une inspiration nocturne, valut à ce grand musicien, le 6 avril 1574, l’honneur d’être créé, par le pape Grégoire XIII, chevalier de Saint-Pierre à l’éperon d’or de numero participantium.

À ce bruit Nemrod leva la tête, l’abbé Fardulfus se détourna à demi, et Cyrus, qui s’appuyait sur le coude droit, s’appuya sur le coude gauche.


XIV

nouvelle manière de tomber de cheval.

Les aboiements et le cor se rapprochèrent ; une grande porte, faisant face à celle par où Pécopin était entré, s’ouvrit à deux battants, et le chevalier vit venir dans une longue galerie obscure les deux cents valets porte-flambeaux soutenant sur leurs épaules un immense plat d’or vert dans lequel gisait, au milieu d’une vaste sauce, le cerf aux seize andouillers, rôti, noirâtre et fumant.

En avant des valets, dont les deux cents torches étaient rouges comme braise, marchait le vieux chasseur, son cor de buffle à la main, à cheval sur le coureur tartare inondé d’écume. Il ne soufflait plus dans sa trompe ; mais il souriait courtoisement au milieu des hurlements inouïs de la meute qui escortait le cerf, toujours conduite par le piqueur masqué.