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LE RHIN.

pavé, traversa lentement cette première salle et entra dans une seconde chambre qui était de même illuminée, immense et déserte.

De larges panneaux de cèdre sculpté se développaient autour de cette chambre, et dans ces panneaux un mystérieux artiste avait encadré des tableaux merveilleux incrustés de nacre et d’or. C’étaient des batailles, des chasses, des fêtes représentant des châteaux pleins d’artifices à feu assiégés et pris par des faunes et des sauvages, des joutes et des guerres navales avec toutes sortes de vaisseaux courant sur un océan de turquoises, d’émeraudes et de saphirs, qui imitait admirablement la rondeur de l’eau salée et la tumeur de la mer.

Au-dessous de ces tableaux une frise fouillée du ciseau le plus fin et le plus magistral figurait, dans les innombrables rapports qu’elles ont entre elles, les trois espèces de créatures terrestres qui contiennent des esprits, les géants, les hommes et les nains ; et partout dans cette œuvre les géants et les nains humiliaient l’homme, plus petit que les géants et plus bête que les nains.

Le plafond pourtant semblait rendre je ne sais quel malicieux hommage au génie humain. Il était entièrement composé de médaillons accostés dans lesquels brillaient, éclairés d’un feu sombre et coiffés de couronnes de Pluton, les portraits de tous les hommes à qui la terre doit des découvertes réputées utiles, et qui, pour ce motif, sont appelés les bienfaiteurs de l’humanité. Chacun était là pour l’invention qu’il a faite. Arabus y était pour la médecine, Dedalus pour les labyrinthes, Pisistrate pour les livres, Aristote pour les bibliothèques, Tubalcaïn pour les enclumes, Architas pour les machines de guerre, Noé pour la navigation, Abraham pour la géométrie, Moïse pour la trompette, Amphictyon pour la divination des songes, Frédéric Barberousse pour la chasse au faucon, et le sieur Bachou, lyonnais, pour la quadrature du cercle. Dans les angles de la voûte et dans les pendentifs se groupaient, comme les maîtresses constellations de ce ciel d’étoiles humaines, force visages illustres : Flavius, qui a trouvé la boussole ; Christophe Colomb, qui a découvert l’Amérique ; Botargus, qui a imaginé les sauces de cuisine ; Mars, qui a inventé la guerre ; Faustus, qui a inventé l’imprimerie ; le moine Schwartz, qui a inventé la poudre ; et le pape Pontian, qui a inventé les cardinaux.

Plusieurs de ces fameux personnages étaient inconnus à Pécopin, par la grande raison qu’ils n’étaient pas encore nés à l’époque où se passe cette histoire.

Le chevalier pénétra ainsi, marchant où le menait le pas de son cheval, dans une longue enfilade de salles magnifiques. En l’une d’elles il remarqua sur le mur oriental cette inscription en lettres d’or : « Le caoué des arabes,