Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
LE RHIN.

Pécopin, lui tournant le dos. Pécopin alla à lui pour le questionner, et lui mit la main sur l’épaule ; le valet se retourna. Il était masqué.

Cela rendit Pécopin muet. — Il commençait même à se demander fort sérieusement s’il suivrait en effet cette chasse, quand le vieillard l’aborda.

— Eh bien, chevalier, que dis-tu de nos chiens ?

— Je dis, mon beau sire, que, pour suivre de si terribles chiens, il faudrait de terribles chevaux.

Le vieux, sans répondre, porta à sa bouche un sifflet d’argent qui était fixé au petit doigt de sa main gauche, précaution d’homme de goût qui est exposé à voir des tragédies, et il siffla.

Au coup de sifflet, un bruit se fit dans les arbres, les assistants se rangèrent, et quatre palefreniers en livrée écarlate surgirent, menant deux chevaux magnifiques. L’un était un beau genêt d’Espagne, à l’allure magistrale, à la corne lisse, noirâtre, haute, arrondie, bien creusée, aux paturons courts, entredroits et lunés, aux bras secs et nerveux, aux genoux décharnés et bien emboîtés. Il avait la jambe d’un beau cerf, la poitrine large et bien ouverte, l’échine grasse, double et tremblante. L’autre était un coureur tartare à la croupe énorme, au corsage long, aux flancs bien unis, au manteau bayardant. Son cou, d’une moyenne arcade, mais pas trop voûté, était revêtu d’une vaste perruque flottante et crépelue ; sa queue bien épaisse pendait jusqu’à terre. Il avait la peau du front cousue sur ses yeux gros et étincelants, la bouche grande, les oreilles inquiètes, les naseaux ouverts, l’étoile au front, deux balzans aux jambes, son courage en fleur et l’âge de sept ans. Le premier avait la tête coiffée d’un chanfrein, le poitrail d’armes et la selle de guerre. Le second était moins fièrement, mais plus splendidement harnaché ; il portait le mors d’argent, les roses dorées, la bride brodée d’or, la selle royale, la housse de brocart, les houppes pendantes et le panache branlant. L’un trépignait, bavait, ronflait, rongeait son frein, brisait les cailloux et demandait la guerre. L’autre regardait çà et là, cherchait les applaudissements, hennissait gaîment, ne touchait la terre que du bout de l’ongle, faisait le roi et piaffait à merveille. Tous deux étaient noirs comme l’ébène. — Pécopin, les yeux presque effarés d’admiration, contemplait ces deux merveilleuses bêtes.

— Eh bien, dit le seigneur clopinant et toussant, et souriant toujours, lequel prends-tu ?

Pécopin n’hésita plus, et sauta sur le genêt.

— Es-tu bien en selle ? lui cria le vieillard.

— Oui, dit Pécopin.

Alors le vieux éclata de rire, arracha d’une main le harnois, le panache, la selle et le caparaçon du cheval tartare, le saisit de l’autre à la crinière,