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LE RHIN.

sible avait laissé choir sa pierre, qui tomba sur le pied du diable et le lui écrasa. C’est depuis ce jour-là qu’Asmodée est boiteux.

Le diable, comme Dieu, a le tonnerre à ses ordres ; mais c’est un affreux tonnerre inférieur qui sort de terre et déracine les arbres. Pécopin sentit le rivage de la mer trembler sous lui et que quelque chose de terrible l’enveloppait ; une fumée noire l’aveugla, un bruit effroyable l’assourdit ; il lui sembla qu’il était tombé et qu’il roulait rapidement en rasant le sol, comme s’il était une feuille morte chassée par le vent. Il s’évanouit.


VII

propositions aimables d’un vieux savant
retiré dans une cabane de feuillage.

Quand il revint à lui, il entendit une voix douce qui disait : Phi smâ, ce qui, en langue arabe, signifie : Il est dans le ciel. Il sentit qu’une main était posée sur sa poitrine, et il entendit une autre voix grave et lente qui répondait : Lô, lô, machi mouth, ce qui veut dire : Non, non, il n’est pas mort. Il ouvrit les yeux, et vit un vieillard et une jeune fille agenouillés près de lui. Le vieillard était noir comme la nuit, il avait une longue barbe blanche tressée en petites nattes, à la mode des anciens mages, et il était vêtu d’un grand suaire de soie verte sans plis. La jeune fille était couleur de cuivre rouge, avec de grands yeux de porcelaine et des lèvres de corail. Elle avait des anneaux d’or au nez et aux oreilles. Elle était charmante.

Pécopin n’était plus au bord de la mer. Le souffle de l’enfer, le poussant au hasard, l’avait jeté dans une vallée remplie de rochers et d’arbres d’une forme étrange. Il se leva. Le vieillard et la jeune fille le regardaient avec douceur. Il s’approcha d’un de ces arbres ; les feuilles se contractèrent ; les branches se retirèrent ; les fleurs, qui étaient d’un blanc pâle, devinrent rouges ; et tout l’arbre parut en quelque sorte reculer devant lui. Pécopin reconnut l’arbre de la honte et en conclut qu’il avait quitté l’Inde et qu’il était dans le fameux pays de Pudiferan.

Cependant le vieillard lui fit un signe. Pécopin le suivit ; et, quelques instants après, le vieillard, la jeune fille et Pécopin étaient tous trois assis sur une natte dans une cabane faite en feuilles de palmier, dont l’intérieur, plein de pierres précieuses de toutes sortes, étincelait comme un brasier ardent.

Le vieillard se tourna vers Pécopin et lui dit en allemand :

— Mon fils, je suis l’homme qui sait tout, le grand lapidaire éthiopien,