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À PROPOS DE LA MAISON IBACH.



LETTRE XI.
À propos de la maison Ibach.


Philosophie. — Comment les causes se comportent pour produire les effets. — Curiosités du hasard. — Leçons de la providence. — Chaos d’où se dégage un ordre profond et effrayant. — Rapprochements. — Éclairs inattendus et jaillissants. — Un reproche au roi Charles Ier. — Une question sur Marie de Médicis. — Louis XIV. — Grande figure dans une gloire.


Andernach.

Mon ami ! mon ami ! ce que font les choses, elles le savent peut-être ; mais à coup sûr, et d’autres que moi l’ont dit, les hommes, eux, ne savent ce qu’ils font. Souvent, en confrontant l’histoire avec la nature, au milieu de ces comparaisons éternelles que mon esprit ne peut s’empêcher de faire entre les événements où Dieu se cache et la création où il se montre, j’ai tressailli tout à coup avec une secrète angoisse, et je me suis figuré que les forêts, les lacs, les montagnes, le profond tonnerre des nuées, la fleur qui hoche sa petite tête quand nous passons, l’étoile qui cligne de l’œil dans les fumées de l’horizon, l’océan qui parle et qui gronde, et qui semble toujours avertir quelqu’un, étaient des choses clairvoyantes et terribles, pleines de lumière et pleines de science, qui regardaient en pitié se mouvoir à tâtons au milieu d’elles, dans la nuit qui lui est propre, l’homme, cet orgueil auquel l’impuissance lie les bras, cette vanité à laquelle l’ignorance bande les yeux. Rien en moi ne répugne à ce que l’arbre ait la conscience de son fruit ; mais, certes, l’homme n’a pas la conscience de sa destinée.

La vie et l’intelligence de l’homme sont à la merci de je ne sais quelle machine obscure et divine appelée par les uns la providence, par les autres le hasard, qui mêle, combine et décompose tout, qui dérobe ses rouages dans les ténèbres et qui étale ses résultats au grand jour. On croit faire une chose, et l’on en fait une autre. Urceus exit. L’histoire est pleine de cela. Quand le mari de Catherine de Médicis et l’amant de Diane de Poitiers se laisse aller à de mystérieuses distractions près de Philippe Duc, la belle fille piémontaise, ce n’est pas seulement Diane d’Angoulême qu’il engendre pour Horace Farnèse, c’est la future réconciliation de celui de ses fils qui sera Henri III avec celui de ses cousins qui sera Henri IV. Quand le duc de Nemours descend au galop les degrés de la Sainte-Chapelle sur son roussin le Réal, ce n’est pas seulement la folie des jeux dangereux qu’il met à la mode, c’est la mort du roi de France qu’il prépare. Le 10 juillet 1559, dans