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LE RHIN.

sur toutes les saillies des vieilles masures. Une lumière qui a paru à une fenêtre voisine a éclairé un moment sous les voussures une foule d’exquises statuettes assises, anges et saints qui lisent dans un grand livre ouvert sur leurs genoux, ou qui parlent et prêchent, le doigt levé. Ainsi les uns étudient, les autres enseignent. Admirable prologue pour une église, qui n’est autre chose que le Verbe fait marbre, bronze et pierre ! La douce maçonnerie des nids d’hirondelle se mêle de toutes parts comme un correctif charmant à cette sévère architecture.

Puis la lumière s’est éteinte, et je n’ai plus rien vu que la vaste ogive de quatrevingts pieds toute grande ouverte, sans châssis et sans abat-vent, éventrant la tour du haut en bas et laissant pénétrer mon regard dans les ténébreuses entrailles du clocher. Dans cette fenêtre s’inscrivait, amoindrie par la perspective, la fenêtre opposée, toute grande ouverte également, et dont la rosace et les meneaux, comme tracés à l’encre, se découpaient avec une pureté inexprimable sur le ciel clair et métallique du crépuscule. Rien de plus mélancolique et de plus singulier que cette élégante petite ogive blanche dans cette grande ogive noire.

Voilà quelle a été ma première visite à la cathédrale de Cologne.

Je ne vous ai rien dit de la route d’Aix-la-Chapelle à Cologne. Il n’y a pas grand’chose à en dire. C’est un pur et simple paysage picard ou tourangeau, une plaine verte ou blonde avec un orme tortu de temps en temps et quelque pâle rideau de peupliers au fond. Je ne hais pas ce genre paisible, mais j’en jouis sans cris d’enthousiasme. Dans les villages, les vieilles paysannes passent comme des spectres, enveloppées dans de longues mantes d’indienne grise ou rose tendre dont le capuchon se rabat sur leurs yeux ; les jeunes, en jupons courts, coiffées d’un petit serre-tête couvert de paillons et de verroteries qui cache à peine leurs magnifiques cheveux rattachés au-dessus de la nuque par une large flèche d’argent, lavent allègrement le devant des maisons, et, en se baissant, montrent leurs jarrets aux passants comme dans les vieux maîtres hollandais. Pour ce qui est des hommes, ils sont ornés d’un sarrau bleu et d’un chapeau tromblon, comme s’ils étaient les paysans d’un pays constitutionnel.

Quant à la route, il avait plu, elle était fort détrempée. Je n’y ai rencontré personne, si ce n’est, par instant, quelque jeune musicien blond, maigre et pâle, allant aux redoutes d’Aix-la-Chapelle ou de Spa, son havresac sur le flanc, sa contre-basse couverte d’une loque verte sur le dos, son bâton d’une main, son cornet à piston de l’autre ; vêtu d’un habit bleu, d’un gilet fleuri, d’une cravate blanche et d’un pantalon demi-collant retroussé au-dessus des bottes à cause de la boue ; pauvre diable arrangé par le haut pour le bal et par le bas pour le voyage. J’ai vu aussi, dans un champ voisin