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vous passeriez votre temps à décacheter des lettres de moi. Mon poëte, quelle œuvre forte et charmante nous faites-vous en ce moment ? Votre théâtre sera une des beautés exquises de l’art contemporain ; il aura dans le siècle une place à part, et lumineuse. L’autre soir, à trois ou quatre, chez une femme, votre compagne de voyage, qui vous admire et vous aime, nous relisions Fanfan la Tulipe. Vacquerie a raison de le dire, ce sont là des œuvres ! Rien n’est délicat et fort, rien n’est gai et mélancolique, rien n’est léger et sérieux comme cette comédie où est le drame, comme ce poëme où est la vie. Fanfan la Tulipe sera pour le dix-neuvième siècle ce que le Philosophe sans le savoir est pour le dix-huitième, une perle trouvée dans les profondeurs. Un de ces soirs, nous relirons vos autres pièces, et de chacune nous redirons quelque chose de pareil. Je tenais à vous raconter cela. — Je profite de l’occasion pour vous envoyer une traite de 666 fr. sur Hachette, échéant le 1er avril, dans 10 jours. Cela vous aidera à payer un bon de 500 francs qu’on vous présentera signé de moi un de ces jours. Quelle traite je tirerais sur le bon Dieu, s’il était chargé de vous payer toute la reconnaissance que je vous dois[1] !


À Auguste Vacquerie[2].


Jeudi 5 mai.

Votre lettre, cher ami, nous a apporté du soleil ce matin ; le mois de mai se conduit mal au ciel et bien sur la terre. Vous le voyez, je suis bon prophète, les temps prédits sont venus, vous voilà à toute vapeur, à toute gloire, dans le succès. C’est de la fumée, disent-ils, mais cette fumée-là mène le monde. Paris vous acclame, l’exil fait écho. Je ne saurais vous dire quelle a été notre joie à tous. Il me tarde d’avoir votre comédie[3] entre mes dix doigts et de me donner la représentation de votre œuvre et de votre triomphe. Voilà votre couronne de grand esprit enfin visible pour tous. J’en suis heureux.

Ex imo.

Ma femme me prie d’ajouter que Meurice vous donnera l’adresse de M. Boiteau. En tous cas, on l’aurait chez Perrotin. Dites à notre cher Meurice combien je prends part à son deuil[4].

  1. Bibliothèque Nationale.
  2. Inédite.
  3. Souvent Homme varie représenté au Théâtre-Français le 2 mai 1859.
  4. Bibliothèque Nationale.