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donc qu’on a prévu des interruptions et qu’on n’en a pas été fâché. Mais soit. On n’exécute pas le décret de Moscou. Passons. Ce n’est pas le vrai point de la question, le vrai point de la question, le voici : l’interruption a lieu par accident. C’est un dommage. Que doit faire le théâtre ? Tâcher de diminuer ce dommage. Comment ? en avertissant le public afin qu’il ne se méprenne pas. Il doit, à l’instant même, envoyer à tous les journaux deux lignes disant : interruption d’Hernani à cause du deuil de M. Delaunay. Sinon le public croira à une baisse des recettes. Publier le motif de la suspension était absolument nécessaire. Or le théâtre s’en est bien gardé. Il a eu soin de se taire. Il a pris la précaution de garder le silence. Il a eu peur que le public ne sût le vrai motif, et il a espéré qu’on attribuerait l’interruption à une diminution de succès (moyen de la produire). Guérin écrit : Pourquoi suspend-on Hernani ? On n’y comprend rien. Cet oubli est déjà bien, mais voici qui est mieux. Charles écrit par télégramme, le samedi 3, à M. Thierry : Dites donc le motif de la suspension d’Hernani. Publiez-le dans les Journaux. Nous attendons. Rien dans les journaux, après le télégramme comme avant. Là est le symptôme grave. Un accident a fait l’interruption ; le silence, évidemment calculé et voulu, du théâtre a fait le mal.

Cette volonté du silence, ce désir de donner le change au public, a résisté même à l’auteur, même à l’avertissement donné par moi. Les deux lignes nécessaires n’ont pas été envoyées aux journaux. Cela me rappelle Samson oubliant les deux vers nécessaires dans le Roi s’amuse. M. Thierry expliquera difficilement sa persistance à maintenir le public dans l’ignorance du motif de l’interruption d’Hernani. Il sait, comme nous, qu’en matière de succès théâtral, il faut mettre les points sur les i. Il y a force ennemis pour tout expliquer à faux. C’est bien le moins que le théâtre publie la vérité. Je ne demandais pas autre chose que la publication du fait. Mais le théâtre a voulu un dommage, et a si bien fait ce qu’il fallait pour cela, qu’en vérité il serait fâcheux qu’il n’eût point réussi. Je plaindrai le théâtre si, par aventure, les recettes se soutiennent. Si vous voyez M. Thierry, dites-lui de ceci ce que vous voudrez. Moi, je me retourne vers votre prochain grand succès qui me fera oublier les mésaventures et les embûches construites pour Hernani par ce bon petit empire II.

Je suis à vous de toute ma force.

V.[1]

Dites à M. Thierry, qui vous a montré le télégramme de Charles, de vous le laisser lire.

  1. Bibliothèque Nationale.