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l’Assemblée a tremblé. Elle s’est déclarée insultée et menacée. Cependant je n’ai pas soulevé d’incident. Je me réserve pour le jour décisif. C’est l’avis de la réunion de la gauche, où siègent Louis Blanc, Schœlcher, Joigneaux[1], Martin-Bernard, Langlois[2], Lockroy, Gent[3], Brisson[4], etc., et qui m’a nommé son président. Cette réunion se tient tous les soirs rue Lafaurie-Monbadon, 77. Hier, on a agité des questions très graves : le futur traité Thiers-Bismarck, l’intolérance inouïe de l’Assemblée, le cas probable d’une démission en masse. On croit l’Assemblée capable de ne vouloir entendre aucun orateur de la gauche sur le traité de paix. Il va sans dire que je remplirai là les suprêmes devoirs.

Ce matin, le président du cercle national de Bordeaux est venu mettre ses salons à ma disposition. La sympathie de la ville pour moi est énorme. Je suis populaire dans la rue et impopulaire dans l’Assemblée. C’est bon.

Et je vous serre dans mes bras[5].


Au même.


1er mars, 9 heures du soir.

Je viens de parler[6]. Je vous écris. J’entends crier dans la rue un journal du soir la Tribune. Je l’envoie acheter. Il y a un compte rendu sommaire de la séance. J’y coupe ceci[7] :

M. Victor Hugo déclare dans une magnifique improvisation qu’à ses yeux la paix même telle qu’on la présentait n’était pas honteuse pour la France, mais qu’elle était infâme pour la Prusse qui, en abusant ainsi d’une victoire obtenue par les plus vils moyens, se déshonorait aux yeux du monde et de l’histoire.

Je vous envoie ces lignes. Elles ne résument pas du tout mon discours. Lisez-le au Moniteur. Je crois que vous jugerez utile de le reproduire ainsi que celui de Louis Blanc. Vous serez frappé de la différence d’accueil que

  1. Joigneaux, représentant du peuple, proscrit au coup d’État, devint député à l’Assemblée de Bordeaux en 1871, élu par la Côte-d’Or.
  2. Langlois, après avoir pris part à la journée du 13 juin 1849, fut déporté ; en 1870, il combattit vaillamment et fut élu député de la Seine en 1871.
  3. Gent fut, en 1848, commissaire du gouvernement provisoire, député du Vaucluse et déporté en 1851. Préfet des Bouches-du-Rhône en 1870, il devint de nouveau député du Vaucluse en 1871.
  4. Henri Brisson, avocat, collaborateur du Temps, maire de Paris après le 4 septembre 1870, fut élu représentant du peuple à l’Assemblée nationale et siégea à l’extrême gauche.
  5. Archives de la famille de Victor Hugo.
  6. Discours sur la Guerre. Actes et Paroles. Depuis l’exil.
  7. Article collé sur la lettre.