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Cette lettre que j’écris là me désole, mais je sens qu’elle ne vous courroucera pas, qu’elle vous plaira même. Je connais trop votre grande âme pour douter un instant de votre adhésion à mon douloureux sacrifice. Un sacrifice poignant ! mais vous êtes faite pour comprendre comme pour inspirer tous les héroïsmes, et, je le déclare, je suis héros aujourd’hui, aujourd’hui seulement. Vous résister, grand Dieu ! tout ce que j’ai fait jusqu’à ce jour n’est rien auprès de ce que je fais à cette heure ; mais, puisque vous êtes mon amie, puisque votre tendre amitié tient une place dans votre vie, je dois rester digne de cette amitié céleste.

Me cacher, me glisser en France, fût-ce pour vous voir, pour vous obéir, ramper inquiet sous l’œil de la police, me rapetisser devant votre cousin et votre persécuteur, même pour me replonger dans votre rayonnement, pour entrer dans votre ciel, je ne le dois pas. Vous êtes ma meilleure amie, ma vaillante amie, vous avez de l’affection pour moi, donc vous m’approuvez.

Je garde votre lettre gravée et ineffaçable dans mon cœur ; écrivez-moi, écrivez-moi souvent, à l’adresse que vous trouverez sous ce pli, et ne vous étonnez pas du retard ou plutôt du décousu de mes réponses ; j’écrirai toujours, seulement je n’habite pas cette ville, j’habite les grandes routes, je fais partie d’un groupe de cinq ou six personnes organisé pour un voyage en commun avec une sorte d’itinéraire convenu d’avance et difficile à déranger. J’étais absent quand votre lettre est arrivée et je viens de la trouver à mon retour, et je vous écris ému, bouleversé, car il me semble que c’est votre âme angélique que je viens de respirer dans le baiser donné à cette fleur.

À vos pieds, madame.

Chère et sublime Rhodope, une pensée à mon réveil, une pensée de recueillement et d’adoration en lisant ces pages si tristes, si mélancoliques et si douces ; laissez-moi, dans ce rêve, déposer un baiser sur votre pied nu, car, comme dit Hésiode, le pied nu est céleste. Si mon audace vous fâche, punissez ma lettre en la brûlant[1].


À Auguste Vacquerie[2].


H.-H., 7 janvier.

Cher Auguste, vous êtes admirablement bon et secourable. À quel imprimeur M. Lacroix m’a-t-il donc livré ? Chez Claye mes épreuves étaient

  1. Archives de la famille de Victor Hugo.
  2. Inédite.