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M. Coste, qui s’est très bravement conduit le 3 décembre. Mais n’en parlez pas. Il s’en cache et a raison, voulant rentrer en France. — Je n’ai plus qu’une ligne. Je vous envoie tout ce que j’ai de meilleur dans le cœur[1].


À François-Victor.


Bruxelles, mercredi 28 janvier [1852].

Mon Victor, comment vas-tu ? Charles te quitte aujourd’hui, j’en ai le cœur gros pour toi, tu vas être seul dans ta cellule. Ô pauvre cher enfant ! Quand me reviendras-tu ? Comme tes mois de prison pèsent à mes mois d’exil !

Je ne sais pas ce qui arrivera dans six mois, mais je sais que nous serons heureux quand nous serons ensemble. Où ? je l’ignore. À Bruxelles, en Angleterre, en Piémont, je veux bien, pourvu que nous soyons ensemble. À propos de Piémont, Brofferio m’a écrit une belle et charmante lettre pour me convier à venir chez eux. Puisque je suis exilé, dit-il, Turin me demande la préférence. Il me dit que le roi giovine bale, me recevra à bras ouverts, et les ministres sardes aussi, et il ajoute : Venite e procurate a me l’onore di annunziare il vostro arrivo… Ailleurs il dit : Venite dunque, noi vi aspetamo ; la Francia qui avete onorata vi proscrive ; l’Italia che vi ama et vi ammira vi offra un altra patria. Enfin, il m’offre, lui, si je ne veux pas de Turin, una modesta villa nel laggo maggiore... C’est tout simplement un des plus beaux lieux du monde. Nous serions bien là, mais notre devoir est peut-être d’aller ailleurs, comme à Jersey, par exemple, d’où nous pourrions mieux combattre. Il faut que je prenne le Bonaparte corps à corps.

J’en étais là de cette lettre quand de Flotte et Testelin[2] sont entrés. Ils m’annoncent que le ministère belge est en pleine désolation à mon sujet. Il y a huit jours, Bonaparte a demandé à Léopold mon expulsion. Léopold a dit non tout de suite, mais très mollement. Trois de ses ministres, Rogier, Frère Orban et Tesch, libéraux, l’ont appuyé ; les autres hésitent. Tiraillements. Le parti catholique s’en mêle. Les trois ministres libéraux offrent leur démission... J’interromps ceci ; je reçois une lettre qui m’appelle au ministère de la Justice ; j’y vais, je reprendrai cette lettre au retour.

Quatre heures. — Je reviens de la Justice. Le ministre l’emporte provi-

  1. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  2. Testelin fut représentant du Nord en 1847 et 1851 ; républicain, il protesta contre le coup d’État et fut expulsé. Il exerça alors sa profession de médecin à Bruxelles jusqu’à l’amnistie de 1859. En septembre 1870, il fut nommé préfet du Nord et représentant du même département en 1871. Sénateur en 1875. Membre de plusieurs sociétés savantes.