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Tu vois et tu sens toi-même que mes prudences n’avaient rien d’exagéré et qu’elles m’ont bien réussi. Que mes fils n’oublient pas cet axiome de ma vie : c’est parce qu’on a su être prudent qu’on peut être courageux.

Je te remercie avec effusion, je te remercie mille fois de tout ce que tu fais. Fais le plus que tu pourras pour Mme  d’…[1] J’ai là un devoir vers lequel il m’est impossible de ne pas me tourner avec un intérêt profond. Je suis touché des paroles si délicates et si vraiment bonnes que tu me dis à ce sujet[2].

Je t’envoie la lettre que Louis Blanc m’a écrite. Lis-la et fais-la lire à la Conciergerie. Tu me la renverras par une prochaine occasion. Louis Blanc me presse pour avoir réponse, oui ou non, qu’en pensez-vous tous ? Qu’en pensent Meurice et Auguste ? Qu’en pensent Charles et Victor ? La chose peut être utile. D’ailleurs ce serait pour Charles un travail tout trouvé. Il paraît que les fonds sont faits en Angleterre. Mais n’y aurait-il pas inconvénient à me confondre, ne fût-ce qu’en apparence, avec Louis Blanc et Pierre Leroux ? Cela me ferait perdre l’isolement de ma situation actuelle, cela me rattacherait au passé d’autrui et par conséquent combinerait mon avenir avec des complications qui me sont étrangères, cela m’ôterait quelque chose de la pureté que j’ai aujourd’hui, n’ayant trempé dans rien, n’ayant pas tenu le pouvoir, n’ayant pas hasardé de théories, n’ayant pas fait de fautes, et ayant simplement tenu le drapeau levé et risqué ma tête le jour du combat.

Et puis il faudrait aller en Angleterre, et rien ne presse encore de ce côté. D’autre part, ce serait un organe et un moyen de continuer la lutte. Mais ce n’est qu’une revue, il faudrait un journal.

Enfin il y a un journal qui s’offre à moi ici, le Messager des Chambres. Le rédacteur est venu me trouver hier et ce matin et part pour Paris. Je t’envoie une lettre de lui qui te fera juger de sa bonne volonté. Il a peu d’argent. C’est là le côté faible de son affaire, surtout voulant la monter sur un très grand pied. Délibérez donc tous entre vous sur tous ces points et envoie-moi le plus tôt possible votre sentiment sur l’ouverture de Louis Blanc et la réponse à y faire.

Désormais, chère amie, quand je t’écrirai par la poste, j’affranchirai la

  1. Quand vint l’exil, Mme  d’Aunet s’affola et se crut privée de son dernier appui. C’est encore Mme  Victor Hugo qui intervint, la calma, la conseilla et lui facilita l’accès de revues et de journaux où elle put utiliser son réel talent d’écrivain.
  2. Dans une lettre du 1er janvier 1852, Mme  Victor Hugo écrivait à son mari : « J’ai écrit hier à Mme  D… Je vais tâcher d’emmancher quelque chose pour elle à cette Revue de Paris. Je vais beaucoup m’occuper d’elle afin de te dégager et pour que tu aies le moins de souci possible de ce côté. Je remplirai cette tâche avec toute la délicatesse et tous les soins possibles. » Archives de la famille de Victor Hugo.