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À Leconte de Lisle.


Castle-Carry, 25 octobre [1864].

Cher poëte, cher confrère, j’ai passé presque tout l’été hors de Guernesey, je reçois aujourd’hui seulement, en Angleterre, où je suis encore, la page magnifique écrite il y a deux mois par vous sur moi[1]. Je m’incline devant votre appréciation, j’en discuterais quelques points, mais vous êtes un maître. Qui est maître est juge. L’épidémie « régnante » aujourd’hui est une maladie dite l’Autorité ; je n’aime, moi, que la Liberté ; de là ma solitude. Dans cette solitude, quand l’âme d’un poëte vient à moi, je suis heureux, et quand le poëte, c’est vous, je suis fier. Vos poëmes sont au nombre des plus beaux de notre temps ; vous sentez et vous pensez ; vous avez l’instinct qui vient du cœur, et le souffle qui vient de Dieu. Votre critique est aussi haute que votre poésie, l’une traduit l’autre. Quelle admirable peinture du débordement des Antilles, à la fois cataracte, avalanche et ouragan ! Et comme cette peinture est une pensée ! Toute votre prose est ainsi ; image et idée ; vous êtes profond parce que vous êtes lumineux. Je voudrais bien causer avec vous. Je ne vous remercie pas, je vous aime.

Victor Hugo[2].


À M. Delorme.


Hauteville-House, 15 novembre 1864.
Monsieur Delorme,

Un écrivain distingué, M. Octave Giraud, entreprend en ce moment un livre important contre l’esclavage. C’est à la fois une histoire et un plaidoyer : histoire de la race noire, plaidoyer contre la race blanche qui l’opprime. M. Octave Giraud compte parmi les principaux publicistes de la presse française et européenne. Son livre sera intitulé : Histoire de l’homme noir. Ce sera un grand et inappréciable service rendu à l’humanité, à la liberté, je dis plus, à la délivrance. Pensez-vous, comme moi, que ce livre serait soutenu par les ardentes sympathies du jeune et généreux peuple haïtien ? Une forte

  1. À propos de William Shakespeare.
  2. Louis Barthou. Impressions et essais.