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vaillants qui combattent du même côté que moi, on crie Haro ! On scrute mes lettres, on compte les lignes, on pèse les mots. Et voilà où j’en suis. Maintenant si après avoir lu ce que vous venez d’écrire dans Le Boulevard[1], je me risque à vous dire : vous avez fait là une page magnifique, vous êtes un superbe et charmant esprit, la cordialité que vous me témoignez a pour source votre dévouement à la cause des malheureux que je défends, — si je vous dis cela, et bien d’autres choses encore que je pense, c’est fini, je suis dénoncé comme pris en flagrant délit d’amitié et de reconnaissance. Eh bien, tant pis, je vous aime.

Victor Hugo.

Voulez-vous bien vous charger de dire à M. Ch. Bataille[2] combien je suis ému et charmé de tout ce qu’il m’envoie d’excellent. — Je n’ai pas encore son livre. Je l’attends impatiemment. Mes amis m’en disent merveille[3].


À M. Marius Trussy.


Hauteville-House, 14 juillet 1862.

J’ai Margarido, monsieur, et je viens de lire ce beau et charmant poëme. Margarido c’est la Provence. Votre Provence, cette presque Italie, est dans Margarido comme le Latium est dans les Bucoliques.

La Provence est une forêt vierge de poésie. Tout y rayonne, tout y fleurit, tout y chante. La langue est douce, le peuple est bon, le paysage est chaud ; le soleil, la femme, l’amour sont là chez eux. J’ai vu la Provence, il y a vingt-cinq ans, et j’en ai encore le resplendissement dans les yeux et dans l’âme. Vous êtes, vous et M. Mistral[4], les poëtes de cet Éden.

Quoique votre drame ait des aspects douloureux et sombres, la sereine clarté méridionale le pénètre et l’apaise. On y sent le reflet de la Méditerranée, moins farouche que celui de l’Océan. La Provence chante même quand elle pleure. Vous avez mis toute cette lumière dans votre œuvre. On est charmé, ce qui n’empêche pas d’être attendri.

Je vous remercie, poëte, et je vous applaudis.

  1. À la fin de sa critique théâtrale, Banville n’avait pu résister au désir d’écrire sur Les Misérables un éloge tout à fait remarquable.
  2. Charles Bataille, auteur dramatique et romancier, écrivit aussi plusieurs chroniques au Figaro, au Boulevard.
  3. Collection Louis Barthou.
  4. Mistral, par la création et l’organisation du félibrige, poursuivit la conservation de la langue d’oc. Les premières poésies datent de 1852 ; Miréis, en 1859, fut une révélation et établit sa réputation. Enfin le Trésor du Félibrige, dictionnaire provençal-français, répandit et vulgarisa la langue de son pays. Il créa en 1898 le Musée Arlésien ; Mistral restera le plus grand poëte provençal.