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cela retomberait sur ce pauvre enfant sous la forme hideuse du maximum — quatre ans et 5 000 fr. — Peut-être n’oseraient-ils pas quatre ans, mais ils mettraient toujours plus d’un an, et alors Voissy ou Belle-Isle. Ces misérables qui gouvernent sont capables de tout.

Nous avons passé toute la semaine dernière dans l’attente du fameux coup d’état. On devait nous arrêter, une trentaine de représentants, dont Changarnier[1], Cavaignac[2], Girardin et moi, et nous déporter. La frégate était, disait-on, au Havre, prête à appareiller. Cela n’a jamais été plus près d’être sérieux, m’a dit Girardin. Girardin était résolu à passer son épée au travers du corps du commissaire de police. Moi, je me serais borné à lui lire l’article 36 de la Constitution. J’ai passé toutes ces nuits, les attendant, avec la Constitution ouverte sur ma table de nuit. Ils ne sont pas venus. Cela s’en ira en fumée comme tous leurs rêves.

Voilà où nous en sommes.

Il fait beau, jouissez de ces beaux soleils. Restez jusqu’au 25. À moins de condamnation et de péril pour l’Événement. En ce cas, la providence Auguste serait nécessaire. Je dîne trois fois par semaine avec Charles à la Conciergerie. Nous parlons bien de toi, chère et bonne mère. Je t’embrasse de toutes mes forces, et ma Dédé. Je vous aime tant, tous tant que vous êtes !

Amitiés sans fin à Auguste. Mes hommages à ces dames[3].


À Auguste Vacquerie[4].


[Septembre 1851.]

Mon cher ami, Victor vous remettra les épigraphes[5]. Vous choisirez. La première est celle que je prendrais. Mais voyez[6].

  1. Le général Changarnier combattit vaillamment en Algérie. Monarchiste, il eût voulu, à la révolution de 1848, placer les princes de Joinville et d’Aumale à la tête de l’armée ; il échoua dans cette tentative. Il fut élu représentant et siégea à droite. Expulsé au coup d’État, il profita de l’amnistie de 1859 ; il reprit du service en 1870. Élu en 1871, il vota toujours contre les institutions républicaines. Sénateur en 1875.
  2. Le général Cavaignac, après avoir conquis ses grades en Afrique, fut élu représentant en mai 1848. Quand éclata l’insurrection de juin, il la réprima et l’écrasa avec une rigueur terrible. Il fut nommé alors chef du pouvoir exécutif, mais échoua pourtant le 10 décembre à la présidence de la République ; on lui préféra Louis Bonaparte. Arrêté au coup d’État, emprisonné au fort de Ham, il fut relâché un mois après. Élu en 1852 et en 1857 au Corps législatif, il refusa de prêter serment et fut considéré comme démissionnaire.
  3. Bibliothèque Nationale.
  4. Inédite.
  5. Les épigraphes étaient destinées au journal L’Avènement du peuple dont le premier numéro parut le 19 septembre 1851 et remplaça L’Événement, suspendu la veille.
  6. L’épigraphe choisie fut : « Soyez tranquilles, vous êtes souverains ».