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Serez-vous assez bon pour faire envoyer chez Mme  d’Aunet (par laquelle ce billet vous arrivera) un exemplaire des Contemplations destiné à M. Dupotet qui m’a envoyé son très curieux livre sur le magnétisme. Vous savez que j’ai droit à 25 exemplaires de l’édition actuelle. Ce sera donc à prendre sur ceux qui me reviennent. — Nous passons notre temps ici à parler de vous et à vous espérer. — Je vous embrasse.

tuus[1].


À George Sand.


Hauteville-House, 30 juin 1856.

Vous avez, madame, tous les dons ; la grandeur de l’esprit n’a d’égale en vous que la grandeur du cœur. Je viens de lire cette splendide page que vous avez écrite sur les Contemplations, cette critique qui est de la poésie, ces effusions de pensée et de vie et de tendresse, cette philosophie, cette raison, cette douceur, cette explication forte et éclatante, ces choses d’or tombées d’une plume de lumière. Et que voulez-vous que je vous dise ? Vous remercier est presque bête ; je vous féliciterais plutôt. Vous êtes une nature sereine ; vous avez toutes les fiertés parce que vous avez toutes les élévations ; vous parlez de ce livre comme vous parleriez d’autre chose, avec cette simplicité calme, et si vraie qu’elle est presque hautaine, quand on la compare aux misérables finesses de tant d’autres esprits. Je disais un jour de vous à mes enfants, le matin, en déjeunant — c’est notre autour de la table à nous — que vous étiez, dans les régions de la pensée, la plus grande des femmes, peut-être même de tous les temps ; vous avez un diamètre d’horizon qui n’appartient qu’aux aigles. De là votre autorité et votre bonté.

Vous êtes l’habitante des cimes, votre esprit niche dans les nids voisins des étoiles ; vous avez l’habitude des aires ; moi, je n’ai qu’une caverne. Mais je voudrais que vous y vinssiez ; permettez-moi de déranger la grosse pierre de la porte et de vous dire : entrez.

Sans figure et en basse prose — (comment oser dire ce mot à vous qui la faites si haute ?) — je viens d’acheter une masure ici avec les deux premières éditions des Contemplations ; je vais la faire un peu bâtir et compléter ; après quoi il y aura une chambre logeable pour vous ; voulez-vous vous préparer à y venir ? Ce sera vers le printemps prochain ; je m’y prends de loin comme vous voyez. C’est un moyen de vous ôter presque la possibilité de refuser. Vous seriez chez moi comme chez vous, c’est-à-dire libre. La

  1. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.